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Le plaisir d'utiliser les mots, dans la joie, les rimes et la bonne humeur...
 
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 Le Projet

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trotsky
Poète Chevronné



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MessageSujet: Le Projet   Le Projet Icon_minitimeJeu 3 Mai - 19:40

Bon, je fais du menage dans cette section théâtre. Deux pièces dans le même sujet, c'est trop compliqué et trop long pour moi. Donc là, je vais mettre ma nouvelle création (encore en chantier; à ne pas confondre avec "Don Tristano").
Lisez le "Marius" de Pagnol, écoutez les jazz suites de Shostackovitch, et ça y est, vous aurez la bonne ambiance...
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trotsky
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MessageSujet: Re: Le Projet   Le Projet Icon_minitimeMer 30 Mai - 16:34

Personnages

« Sean » Malroz (l’expert) membre des Renseignements Généraux
André (Scipion) ancien chasseur d’ivoire
Don Gennaro le parrain
Fanfalon capitaine du dragueur assurant le désensablement du port
Fernand commissaire de police
Firmino notaire, frère de don Gennaro
Ivan Kalinine (Ilitch) taupe soviétique
Julien Jaurèl (L’angliche) nouvelle recrue, informateur
Louis frère de Marius, premier tireur du gang
Marcel le barman
Marius frère de Louis, lieutenant de don Gennaro
Salvatore (papi) père de Gennaro et Firmino
Suzanne cousine de Marcel, l’aide au bistrot
Werner von Blau (Herr Doktor) le « cerveau » de la bande, réfugié nazi

Acte I

Scène 1

Eté 1953. Un bar en Provence. Nous sommes sur la terrasse ; le comptoir y a été déplacé, en raison de la chaleur étouffante. Marcel rince les verres ; Marius et Louis font une partie de cartes ; Fanfalon met de l’ordre dans ses livres de comptes ; Scipion commente fougueusement le journal devant Suzanne, indifférente.

Scipion : La progression de l’anarchie rouge dans nos colonies...
Marius : Vé ! J’te mets l’atout, petit !
Louis : Sapristi de tricheur...
Fanfalon : Trois et trois font six et je retiens deux, alors, euh...
Scipion : ...tandis que la situation se dégrade en Egypte...

Herr Doktor et L’angliche rentrent

Herr Doktor: Un pastis, barman! Ach, enfin, disons deux.
L’angliche : C’est ça, votre repaire ?
H.D. : Repaire ? Sachez, jeune homme, qu’en ce lieu le grand Delestraint prit refuge pendant cette tâche ardue que fut la Résistance...j’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour cette insolente révolte contre le fait accompli...ah, les Français...des têtus, tous autant que vous êtes...
L’angliche : Mmh, je vois...quant à vous, Doktor, vous êtes plutôt nostalgique de Rommel et de l’afrikakorps...
H.D : Halt ! Ne vous avisez pas de critiquer le feld-maréchal. Songeons aux présentations, je vous en prie...voyez, là, avec les cartes, ce sont Marius et Louis, frères jumeaux, aléatoirement gardes du corps du patron. Marius est, ainsi que moi, le lieutenant du chef, et Louis s’occupe des travaux de précision...c’est qu’il tire comme pas deux : avec un bon beretta, il serait capable de vous cibler un bœuf dans un couloir...
L’angliche : Des professionnels, quoi...
Scipion, jetant en l’air son journal : L’invasion soviétique ne tardera pas !
H.D. : Ah, lui c’est l’halluciné du coin...ancien colonial, il est passé par la malaria, la gangrène, le béribéri, et il s’en est toujours sorti sans dommages, du moins physiques...pauvre Scipion, ça ne pardonne pas l’AEF...
L’angliche : Scipion ?
H.D. : Que d’ignorance ! Ne t’as t’on jamais parlé, à l’école, de ce Scipion, dit « l’africain », qui battit Hannibal à Zama ?
L’angliche : Peut-être, oui...ils sont fiancés ?
H.D. : Lui et Suzanne ? Hin hin hin...non, personne ne voudrait d’un vieil ours radoteur comme lui. Il fait ça avec toutes les femmes. C’est une réminiscence des colonies. Il parait qu’il a passé des années à vadrouiller dans la brousse, avec pour seule présence humaine les porteurs indigènes et deux autres chasseurs d’ivoire...il en a fait une phobie des hommes, ou une chose du genre. Il ne parle plus qu’aux filles, sauf quand il nous crie dessus.
L’angliche : Ah, oui, c’est particulier.
H.D. : Une drôle de bande, n’est-ce pas L’angliche ? L’un plus fou que l’autre...mais passons aux affaires sérieuses. Tu dois remplacer Le monde, notre ancien informateur...Marcel, mein Gott ! Ramène le pastis ! Bref, ton rôle principal est de surveiller que le type que je t’ai montré tout à l’heure, le commissaire Fernand, ne triche pas...
Louis : Holà ! Mais c’est le fridolin qu’est de retour ! Doktor, tu nous sers un coup à boire ? C’est fou ce que le gosier se dessèche, ici.
Marius : Ah ça ! C’est presque le Sahara, ce bistrot, pas vrai Marcel ?
H.D. : Causez toujours, les clowns. Nicht, pour toi comme pour l’autre.
Scipion : Chut ! Ce n’est pas bientôt fini ce pandémonium, le nazi ? Je cause à une dame !
H.D. : Moi ? Nazi ?!
Suzanne : Voyons, André...ne vous agitez pas ainsi, c’est mauvais pour votre pression...
Scipion : Au diable la pression !
H.D. : C’est trop fort ! Sachez que jamais le grand Werner von Blau, professeur de littérature à l’université de Nuremberg, n’acceptera d’insultes d’un...d’un...d’un Savorgnan de Brazza dégénéré comme vous ! Retournez à vos éléphants !
Marcel : M’sieur Werner, y a quelqu’un pour vous au téléphone.
H.D. : Merci...le poste est bien dans cette pièce là ?
Marcel : Attendez, je vous y amène...Suzanne, occupe-toi des clients.

Ils sortent

Scène 2

Louis et Marius reprennent leurs cartes en bougonnant ; L’angliche reste au comptoir.


L’angliche : Monsieur, euh...Scipion ?
Scipion : Je ne veux pas savoir, blanc bec. Tu n’es peut-être pas encore avec les autres, mais bientôt tu seras comme eux...quand on rentre dans ces affaires là, on n’en ressort plus, je te l’assure...j’ai fait l’expérience avec l’ivoire...rien n’y fait, aucun de nos ridicules soubresauts. La vie, petit, ça te colle aux mains, une fois qu’elle t’a attrapé, elle trouvera un moyen de te briser...
Suzanne : Ne l’écoutez pas, il boit trop, ça le rend tout triste...vous êtes nouveau, ici.
L’angliche : Pour sûr, madame.
Suzanne : Madame ? Je ne suis pas mariée...et puis, je n’ai pas trente ans. C’est encore trop tôt pour madame. Dites Suzanne, comme tout le monde.
L’angliche : Ah, il est bien là le problème...comme tout le monde...j’ai fait des études, comme tout le monde, mon service militaire en Wurtemberg, comme tout le monde, et maintenant je triche avec la vie, comme tout le monde...laissez « comme tout le monde » à d’autres, mademoiselle Suzanne.
Scipion : Tous disent ça au début...la vie, c’est comme le gingerino : sucré à la première gorgée, mais ça laisse un arrière goût amer...au revoir Suzanne, surveillez bien cet anarchiste...dites-moi, petit, votre nom ?
L’angliche : Julien, Julien Jaurèl, monsieur...on m’appelle L’angliche.
Suzanne : Et pourquoi donc ?
L’angliche : Voyez vous, j’ai été à l’école chez les prêtres, dans le Jura, et ils avaient une passion pour les langues : il fallait s’ouvrir sur les croyants du monde entier...s’ils avaient pu nous faire rentrer en tête le zulu, ils l’auraient fait. Des braves gens...j’ai oublié les évangiles, mais en 42 je connaissais déjà décemment l’anglais...alors voilà qu’un soir – mais il faut préciser que tous étaient résistants et pétainistes, dans la famille. Le rêve de papa c’était de libérer le maréchal, « otage des allemands à Vichy »...ce soir-là, on ramène deux parachutistes anglais, jeunes, pâles, charmants. Moi, j’avais douze ans, je leur fait « Hello ! How are you? Long live England! ». Tous ont rit, et depuis on m’appelle L’angliche.
Scipion : Ils sont fous, ici, avec leur manie des surnoms.

Il sort

L’angliche : Quel sauvage !
Suzanne : Ne dites pas ça, au fond, c’est un brave homme. La jungle l’a abattu...il chassait les éléphants, ça a finit par le dégoûter de lui-même. D’ailleurs, vous êtes le premier homme à qui il parle autrement qu’en criant depuis qu’il est revenu d’AEF.
L’angliche : Les colonies, c’est le mouroir de la France...nous y avons semés les germes pourris de notre si belle « civilisation », gâchant ainsi dans une magnifique apothéose de révolte le dernier territoire sauvage...ah, les hippos, les popotames du Limpopo...
Suzanne : Tiens, un bolchevique fêlé de plus...avez-vous déjà été au vieux port ?
L’angliche : Le vieux port ? Jamais. Pourquoi donc ?
Suzanne : Oh ! Quelle impardonnable omission ! C’est le plus charmant endroit de la ville. Il y a la mer, du bleu partout...regardez l’heure, j’ai terminé. Venez avec moi...ça compensera ce manque d’intérêt pour notre gentille bourgade provençale. Marcel ! Je sors !
Marcel, rentrant : Pardi, cousine, c’est bon, ne crie pas...j’ai entendu, suis pas sourd...
Suzanne : N’oublie pas de prendre tes gouttes...venez, Julien, soyez gentleman : vous allez m’accompagner, et vous me reconduirez ce soir...il se fait tard. Sortons.
L’angliche : C’est trop d’honneur...allons-y !

Ils sortent

Scène 3

Herr doktor rentre

H.D : Bon, lesquels sont là...les jumeaux. C’est tout ? Marcel, Où est fini mon pupille ?
Marcel : L’est allé faire un tour avec Suzanne.
H.D. : Tarteifle ! On n’aurait pourtant pas dit que ce put être un coureur...ho ! Les siamois ! Rassemblement !
Marius et Louis, bondissant au garde à vous : Chef, oui chef !
H.D : C’est bon, je ne vous ai pas demandé de me faire un numéro de Laurel et Hardy...j’ai eu le patron au téléphone. Il est sur une affaire qui peut rapporter gros...suffisamment gros pour passer le reste de notre vie à Nice entre l’hôtel et la promenade des anglais !
Louis, à Marius : J’t’ai vu...peuchère ! L’as, il était dans ta manche...
Marius : Et puis zut ! Si on ne peut plus tricher entre copains, ça ne vaut même pas la peine de jouer aux cartes.
H.D : Ce n’est pas bientôt fini, vos messes basses ?
Don Gennaro, entrant en scène : Qui parle de messe ? L’église, c’est place du 18 Juin, Herr Werner.
H.D : Enfin, te voilà, Gennaro...Marcel, ferme le bar un instant. Nous devons parler en privé.
Marcel : Toujours la même histoire...si ces messieurs sont là, le client s’en va...ouah ! J’ai fait une rime ! Là...va...serai-je poète ?
Don Gennaro : Allons, Marcel, cesse de blatérer...tenez, je vais m’allumer un cigare : ces havanes sont répugnants, fumeux, mais tout de même : quelle classe...
H.D : Vous vous embourgeoisez, mon cher.
Don Gennaro : Que veux-tu, Werner ! Dans la vie, il y a des hauts et des bas...le seul moyen de rester en forme, c’est de les alterner judicieusement : sinon, on s’assoupit...asseyez-vous, plutôt, et fermez les yeux : quel bel après-midi...ce soleil implacable tape sur tout le Midi, fendant les pierres et ployant l’ombre noire du cyprès...des cris, les pêcheurs, les mouettes...
H.D : Et les gens, aussi...vous souvient-il de Tartarin de Tarascon ? Mais surtout, par-dessus tout cela, il y a le ciel si bleu, si profond, ourlé de nuages eux teintes de chrysanthème...il se réverbère au fond des yeux et a un peu l’effet d’une quelque grisante liqueur...la vie est une drogue : on en meurt...
Don Gennaro : Que de rêves...
Marius : Alors, patron, c’est quoi cette affaire ? Il y a de l’argent à se faire par pleines poignées, parait-il, de quoi se faire une vie de nabab pour l’éternité ! On va braquer le Crédit Agricole ?
H.D : Triste chose que le retour au réel...mais en effet, Gennaro, tu m’as parlé d’une quelque manigance, au téléphone. De quoi s’agit-il ?
Don Gennaro : Ha ha ! Petits curieux...eh oui, j’ai mis la main sur le coup du siècle : rendez vous compte du nombre d’années qu’il nous a fallu pour en arriver là...vous rappelez-vous de l’an 1943 ?
Marius : Le débarquement !
Don Gennaro : Bravo ! C’est comme ça que nous avons commencé...en saccageant les convois allemands avec des armes volées aux américains...tandis que d’autres sots mouraient pour la liberté, nous vivions pour l’argent. Mais il s’agit maintenant d’autre chose : le vieil Antonio...est mort.
Louis : Antonio ?! Mais...notre Antonio ? Celui du whisky-soda ? Mort ?
H.D : Le whisky-soda ?
Marius : Il semblait immortel, ce vieil escroc...
Don Gennaro : Tu n’étais pas là lors du coup du whisky-soda, Werner...je t’expliquerai une autre fois. Alors, les amis, quelle aurait été la moindre des choses de la part du vieux ?
Marius : De nous envoyer des excuses écrites ?
Louis : De nous inviter aux funérailles ?
Don Gennaro : Mais voyons, et l’héritage dans tout ça ?
H.D : Deux villas...un compte en Suisse...des armes...le réseau centre-africain...un magot secret...
Don Gennaro : Rien de tout cela nous échoit. Il a tout légué a un obscur personnage...que je ne connais aucunement...Fabrice, ou Julien...non, non, peut-être Lucien...
H.D : Henry Brûlard...
Don Gennaro : Quoi ? Non, connais pas...bref, il faut remédier à cette injustice : nous allons prendre notre part – conséquente – d’héritage. Nous ne pouvons pas permettre que la plus grosse fortune de la pègre internationale tombe entre les mains d’un jeune idéaliste de mèche avec les ruskoff !
H.D : Jawohl mein Führer !
Marius : Ça va, Doktor ?
Don Gennaro : Suivez-moi, les gars, on va voir la veuve...il faut faire un constat des lieux.

Ils sortent

Scène 4

Un temps ; Marcel prépare un whisky ; le commissaire Fernand et Ilitch rentrent

Marcel : Ah, monsieur Fernand ! Belle journée, hein ? Vous venez prendre votre whisky du soir ?
Fernand : Que veux-tu, les habitudes...d’aucuns prétend qu’on devient dépendants de l’alcool, mais moi je veux m’accrocher à ce verre là...comme le naufragé sur sa planche...c’est dur ce fichu travail, ça use son homme jusqu’à ce qu’il n’en reste plus que l’ombre pâle...
Marcel : Vous allez effaroucher votre ami, commissaire ! Allons, prenez moi plutôt ce petit remontant et dites m’en des nouvelles...c’est de l’écossais, un nouvel arrivage. Et pour cet autre monsieur, ce sera ?
Ilitch : Une vodka, camarade.
Marcel : Coquin de sort ! Qu’est-ce encore que ce ruskoff ?
Ilitch : Aucune crainte à avoir, camarade, je ne suis pas l’œil de Moscou...né en Russie, par contre, du temps de Nicolas II, le tsar...j’avais quatre ans lorsqu’à Ekaterinbourg...mais vous savez l’affaire. On m’a appris le bolchevisme dès mon enfance. Puis je suis venu en France...
Fernand :...mission diplomatique pour le compte de Molotov, à la Libération. Ça lui a tellement plu, ici, que tous puissent avoir une voiture, une maison, des idées, qu’il s’est évadé de l’ambassade...n’est-ce pas Marcel, que ces damnés rouges...
Ilitch : Ttc ttc ttc, ne fait pas de propagande impérialiste, camarade. Je suis encore communiste...mais je travaille pour vous. Toujours utile parler russe. L’U.R.S.S., c’est trop froid, je préfère la Provence, plage, soleil...ici, c’est la terre natale de Jaurès...et puis, les Françaises, ça vaut le coup d’œil...
Marcel : Hé, il est drôle ce coco-là ! Je ne sais pas où vous l’avez déniché, commissaire, mais c’est une bonne affaire, je vous l’emprunterais bien...eh ! Vous nous faites la tête là ?
Fernand : René Coty a eu son mandat. Il a gagné les élections.
Marcel : Il semble marrant. J’aurai voté pour lui, si j’étais député. Et puis, les présidents...c’est comme l’argent...aujourd’hui communiste, demain démocrate-chrétien...
Ilitch : C’est de Gaulle qui vous manque.
Fernand : De Gaulle ? Que viendrait-il faire dans cette ineptie de IVème République ? de Gaulle est un noble, un grand homme...il est trop loin, trop intangible pour comprendre pleinement...de Gaulle, c’est un peu comme la France, cette France qu’il envisage « telle la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs »...s’il vient, lui, cet emblème de la liberté, ça va limoger à tour de bras...il n’y aura plus de place pour les veules et les corrompus.
Ilitch : Encore un résistant, n’est-ce pas ?
Marcel : Il vous a montre la médaille que lui a remise le général ?
Fernand : Suffit, Marcel ! Tu n’as peut-être pas compris la gravité de la situation.
Marcel : Et si vous l’expliquiez, pour commencer ?
Ilitch : Il n’a pas tort.
Fernand : Ah toi, ne t’en mêle pas, ce sont des affaires entre copains...voilà, Coty est un brave homme...il a décidé de débarrasser l’administration française de ses éléments corrompus, obsolètes ou improductifs...
Ilitch : Or, pour ce qui est d’avoir ces trois « qualités », nous sommes servis avec Fernand...
Fernand : Ferme-là, Ilitch...tu connais le marché que j’ai passé avec don Gennaro : s’il ne fait pas de grabuge, je ferme un œil sur ses trafics. Ilitch, avec un de ses collègues...
Ilitch :...moi et Sean, des Renseignements Généraux, sommes donc venus faire une tournée d’inspection dans le département. Le commissaire, une personne intelligente, m’a avoué sa pénible situation, et je cherche maintenant un moyen de la sauver.
Fanfalon :...et quatre caisses de sable à vingt francs l’une font quarante francs...
Marcel : Ô capitaine, vous avez des problèmes avec les mathématiques, là !
Fanfalon : Je ne suis pas très doué pour les mates, ni pour les matiques d’ailleurs, mais je me débrouille bien avec mon bateau. Bon, j’ai fini les comptes ; bonne nuit !

Il sort

Marcel : Dites, vous y tenez tellement à don Gennaro ?
Fernand : Ce sale gangster italien ?
Ilitch : Attention, camarade ! Je suis moi-même étranger...il n’est rien de plus nauséabond que le racisme : c’est un miasme s’extirpant des peuples pourrissants...la peur des inconnus est le vert linceul auréolant les vieux fascistes.
Marcel : Ecoutez, Fernand, si vous ne répugnez pas à faire un coup bas, je peux vous donner un coup de main...don Gennaro est sur un gros coup, mais ça pourrait être celui de trop : je vous donnerai des nouvelles...si vous l’attrapez la main dans le sac, ça permettrait de redorer un peu votre blason, pardi !
Fernand : Bonne idée...je te quitte, il faut que j’y aille : la Jeanne va perdre patience si je ne suis pas là pour le diner...faudrait pas qu’elle me passe un savon...au revoir. Tu nous tiendras au courant.
Marcel : C’est bon ! Bonne nuit !

Fernand sort

Scène 5

Marcel : Hep, le soviétique...là, je ferme.
Ilitch : J’attends encore ma vodka, camarade.
Marcel : De par ma chandelle verte ! Qu’est-ce encore que cette diablerie ? Bah, encore une quelque babiole du petit père du peuple...tenez, goutez du pastis, ça au moins c’est bien de chez nous, oui. Vous m’en direz des nouvelles.

L’angliche et Suzanne rentrent

Ilitch : Aux mariés ! (il boit)
Marcel : Ah, ce n’est pas trop tôt. Je t’attendais pour fermer. Est-ce que tu as des affaires à récupérer ?
Suzanne : Non...quant à vous, monsieur le plaisantin, il faudrait songer à sortir, maintenant...et réfléchir un peu avant de porter des toasts incongrus ; ce n’est pas tout, dans la vie.
Ilitch : Pour moi si. Au commissaire du peuple Trotsky ! (il boit)
L’angliche : C’est un étrange personnage, mais il a de l’agrément. Allons, camarade, nous allons trinquer ensemble...barman ! Un coup à boire !
Suzanne : Tiens, il reste un fond de whisky, ici...n’appelle pas Marcel « barman », il se vexerait...mais n’as-tu pas encore assez bu, au port ?
L’angliche : Non, et toi non plus. Camarade ! Je lève mon verre à la France éternelle !
Ilitch : Et aux belles Françaises ! (ils boivent)
Suzanne : Décidemment, vous êtes complètement ivres...
Ilitch : Fillette ! Mesurez vos paroles face à Ivan Ivanovitch Kalinine...sachez que je n’ai bu que trois verres, et que je suis imperméable à l’alcool.
Suzanne : Peut-être bien, mais le pastis, cela se dilue !
Marcel : Attention, c’est un copain à Staline...
L’angliche : Moi également, monsieur...j’admire aussi ce bon vieux Blum...Léon Blum, vous savez...celui du front Populaire, 1936...
Ilitch : Un toast pour Blum ! Boum !
Suzanne : Ah, non ! Tous dehors, maintenant ! Comme l’aurait dit Herr Werner : raus !
Ilitch : Da, da, tous dehors, hue dada ! Raus ! On va lui montrer, à ce dictateur...

Il sort

Suzanne : Et bien, Julien ? Vous vous êtes attaché au comptoir ?
L’angliche : Je vous raccompagne.
Suzanne : Non, pas ce soir...je suis un peu...légère...je me sens un peu comme dans un roman de Scott-Fitzgerald...comprenez-vous ? Par un soir comme celui-ci, je serais capable de tomber amoureuse de vous...il est de ce soirées particulières, aux senteurs lourdes et capiteuses, qui vous pèsent sur l’âme tel un lourd oiseau cendré, qui vous étourdissent de leur torpeur mielleuse et sensuelle...certains soirs, ainsi, alors que tournoient les lucioles, points luminescents, et que l’ombre met des touches mauves sur la mer, il faut savoir à se contraindre, et réfréner l’élan des passions...
L’angliche : Et donc ? Vous n’êtes pas seule à rester ainsi sous l’emprise de ces nuits fatales...mais...ne sentez vous pas une liberté, un souffle annonciateur rafraîchir l’air terne ? Quelque chose de nouveau, quelque chose de chaleureux et enivrant, quelque chose de doucement fou s’épand des étoiles naissantes...des accords célestes vibrent...vous parliez de mauve : et bien oui, ce sont ces couleurs à l’intermédiaire entre le jour et la nuit, la vie et la mort, l’amour et le plaisir qui griffent le dôme obscur de l‘heure nocturne, du mauve, et du pourpre et du bleu ultramarine...c’est tout un monde aux teints clairs-obscurs qui s’ouvre à nos sens et à nos esprits assoupis par le sommeil du sentiment...à quoi bon en vouloir au grand Gatsby ? Pourquoi ne profiterions-nous pas aussi, fut-ce une soirée, de l’ivresse douce des Années Folles ? Quel interdit nous défend de badiner avec l’amour ?
Suzanne : L’amour n’existe plus...sauf lorsque ces gammes profondes s’emparent du cœur des hommes, meurtrissant leur mante d’illusions...il se fait tard ; sortez.
L’angliche : Si tel est votre bon plaisir...je m’y plie, mais c’est par complaisance.
Marcel : Ouste, dehors vous deux, cornegidouille ! Je ferme !

Ils sortent, bras dessus bras dessous. Marcel éteint les lumières ; fermeture des rideaux
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trotsky
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MessageSujet: Re: Le Projet   Le Projet Icon_minitimeJeu 31 Mai - 20:38

Acte II
Scène 1
Le lendemain matin, même lieu. Marcel, encore ensommeillé, lit le journal devant une tasse de café et un croissant. Fernand lui fait face ; Firmino, don Gennaro et Herr Doktor rentrent.
Don Gennaro : Marcel ! Sers-nous le petit déjeuner, et que ça saute ! J’ai faim à en manger un inspecteur !
Fernand, levant les yeux de son thermos : Té, imbécile ! Les inspecteurs, ça se coince en travers de la gorge.
H.D. : Mein Gott ! Vous avez diablement raison, Fernand : les inspecteurs, ça ne se mange pas, ils sont trop coriaces.
Don Gennaro : La rançon du succès...
Marcel : Ma gidouille ! Vous n’allez pas recommencer, hé, que j’deviendrais fada ! Non mais, l’a tu vu ! Asseyez-vous et mangez tranquillement, je vous apporte le café.
H.D. : Et le pastis.
Firmino : S’il vous restait une goutte de cette mirabelle...
Don Gennaro : Moi, je prends du sirop. De fraise, s’il te plaît.
Fernand : Peuchère ! Ca y va fort au petit matin ; moi je vous dis que les contraventions vont pleuvoir, à midi.
Firmino : Nous n’arriverons à rien si nous ne connaissons pas le légataire. Certaines clauses du contrat précisent que seul l’intéressé doit en être informé, après un délai de trois jours après le décès. Maître Blanc ne tient pas à m’aider – secret professionnel. Il est très consciencieux.
Don Gennaro : Il doit bien y avoir moyen de savoir...
Firmino : Non, catégoriquement non. Le principe de ce testament était de rester secret, afin de permettre à son bénéficiaire d’employer librement son argent, sans risquer d’être volé par des crapules comme vous.
Don Gennaro : Des crapules ? Les affaires vont mal, en ce moment ?
Firmino : Oui, quelle question ! J’ai bien pensé à changer de nom, mais si papi venait à le savoir, il serait encore capable de m’administrer une sévère correction...si tu as réussi, c’est parce que tu as renié tes origines, parce que tu as suivi la masse qui acceptait de se couler dans le moule français. Mais voilà, quand on reste Italien, et qu’on est immigré, c’est une sorte de malédiction...ils m’ont fait passer en fac de droit à contrecœur. Je me suis esquinté dans un office sordide à faire le saute-ruisseau, le clerc, puis j’ai ouvert ma propre maison qui est systématiquement boycotté par tous les individus fortunés de ce damné bourg. Ma clientèle ? Les maçons italiens, les concierges portugais. Et malgré tout, jamais je n’accepterais de faire...comme tout le monde, de...me fondre dans la masse, disons.
H.D : J’aimerais vous comprendre...moi, voyez vous, j’ai trahi mon pays en prenant ma carte de membre du parti nazi. Oh ! Je croyais les avoir compris, au début, il était évident qu’eux étaient les gentils ; c’était simple comme un conte d’Andersen. Pourtant, la vérité était que nous refusions d’entendre. Pourquoi comprendre la haine, quand on nous raconte la gloire ? Pourquoi comprendre l’inhumain, quand on nous fait miroiter la supériorité ? Hitler parlait bien, il était le reflet de nos ambitions les plus noires, des recoins les plus obscurs et profonds de notre esprit. A la fin de la guerre, on m’a placé à Dora...administration pénitentiaire...quand les alliés arrivèrent et découvrirent le carnage, l’inhumaine abomination de l’être humain agissant en fauve, ils me condamnèrent à la pendaison. Mais un pâle français, aux allures de spectre, s’interposa... « Laissez, il ne comprenait pas »...et alors, messieurs, j’ai compris. Avez-vous jamais eu idée de ce qu’est la honte, une vraie honte, un tourment sincère et désolant enserrant jusqu’aux tréfonds de l’âme ? J’ai compris. Tout. Je n’ai plus retrouvé l’homme...vaut-il mieux mourir, ou comprendre ?
Firmino : L’angoisse irrépressible de la réalité a fait vaciller plus d’un cœur téméraire...
H.D : Eh oui ! Eh oui, Tarteifle ! « Tout suffocant/Et blême/Je me souviens/Des temps anciens/Et je pleure »...Verlaine...toujours, j’ai admiré les poètes français.
Firmino : Je peux vous comprendre, savez-vous ? C’est en Italie qu’est né la fascisme...vous devriez en parler à papa.
H.D : Peut-être...baste ! Branle-bas de combat ! Messieurs, l’heure est bien grave, mais mon plan hardiment conçu triomphera de toutes les embûches que nos ennemis pourront nous tendre, ya ! Mon idée ingénieuse consiste en trois parties : erste, enlever discrètement maître Blanc, pour faire main basse sur les dossiers. Zweite, falsifier les documents, afin de changer le destinataire. Or, Fernand déterrerait la hache de guerre, si nous opérions une manœuvre aussi flagrante...
Don Gennaro : Ah, je commence à comprendre...c’est déterré, mais cela pourrait fonctionner...tu as l’intention de décerner l’héritage à un homme de paille, à nous dévoué, qui nous le retournera...
H.D : En effet, bien que dans ce cas le terme « éthéré » soit plus adéquat ; d’un autre côté, il est vrai que j’ai du le déterrer de l’incroyable amoncellement de génialissimes intuitions remplissant mon esprit surhumain...vous devinez la suite : auf wiedersehen, la police, nous faisons les valises et partons...loin, loin d’ici...
Firmino : Dans un pays où l’on ne parle pas l’anglais...
Don Gennaro : Ni le russe, et d’ailleurs pas le turc, et l’espagnol, et tant qu’on y est aussi le ndebele, et puis plein d’autres quoi. Cependant...il nous faudrait de nouveaux témoins, neutres, pour la paperasse... (Il renverse son sirop) nom de nom d’une pipe !
Fernand : Vé, je le disais qu’il y aurait de la casse...hé, Gennaro, vous avez des faiblesses ? Il faut aller voir le médecin !
H.D : Herr comissaire, je me permets de vous conseiller de fermer votre grande bouche. Messieurs, au revoir, j’ai terminé ma collation ; d’autres préparatifs requièrent mon attention.
Il sort
Scène 2
Don Gennaro : Ehm...bah, oui...il faut dire...
Firmino : Ça, c’est clair...oh...n’est-ce pas...
Don Gennaro : J’ai, euh...tu sais, préparer...
Firmino : Mais oui, mais oui, je...voilà, quoi. J’y vais. (Il sort).
Don Gennaro : Chienne de vie...nous sommes incapable, en tête à tête, d’échanger deux mots sensés. Et encore...rien n’est pire que ces entretiens totalitaires et délirants avec...
La voix de Salvatore : Ma dove diamine é la sua casa ?
Don Gennaro : Quelle horreur ! Cette voix...serait-ce...mais non...
La voix : Ehi ma... imbranato di un figlio ! Gennaro !
Don Gennaro : Mon dieu...quand on parle du loup...
Salvatore, rentrant : Andiamo, Gennaro, perché fai finta di non riconoscermi, disgraziato ?
Don Gennaro : Ca fait dix ans que nous sommes en France. Vous pourriez employer une autre langue que l’italien.
Salvatore, dangereux moulinets avec sa canne: Fils! Ne t’avises pas de me parler sur ce ton, et...parlo come voglio, e se non stai zitto ti meno, Gennarino!
Don Gennaro : Forse non l’hai notato...ma situation financière est quelque peu...
Salvatore : Saleté de bourgeois bourgeonnant ! Ne sors pas l’argument argent, ou les claques vont voler. Voyons, je ne te reconnais plus. Tu étais différent quand nous sommes partis, que diable ! Plus homme, disons. Enfin, Gennarino...sacrebleu, je ne veux pas d’un fasciste dans la famille. Tu sais ce que je lui dis, à Mussolini ?! Je lui dis...
Don Gennaro : C’est bon, c’est bon, j’ai saisi le concept. La rengaine socialo-radicale ne date pas d’hier. Elle est perdue, votre cause : le centre n’existe pas ! Que veux-tu, au fond : trouver un nouveau Clémenceau ? Ouvrir l’Europe démocratique aux Soviétiques ? Et d’abord, que diantre fais-tu ici ? Je te croyais...
Salvatore :...à l’hospice, tiens ! Encore une de tes idées, assassin ! Ce n’est pas Firmino qui aurait fait ça, oui, lui c’est quelqu’un de bien ! Il en a fallu des taloches, mais il a fini par comprendre...
Don Gennaro, aparté : Despote...c’est toujours le même, son chouchou...
Salvatore : Ne parle pas de choux alors que je te cause ! Mais enfin, moi je veux combattre, lutter, libérer, triompher ! A quoi bon s’éterniser dans l’attente, contemplant la chute des dernières feuilles en bavant, impotent ? Mes traits ont vieilli peut-être, ma voix s’éraille, mais l’idéal est là, j’ai du talent et j’y crois encore ! Par moments me prennent des envies épiques...
Marcel:...et pique et pique et colle et gram...
Salvatore : Silence, louche polisseur de verres ! Ainsi, Gennarino, j’ai suffisamment de force de persuasion pour convaincre un bêta d’infirmier...
Don Gennaro : Ciel ! Tu as assommé l’infirmier ?
Salvatore : Et bien, en fait je suis passé par la fenêtre et j’ai pris la clef des champs, à défaut d’avoir celle de ma chambre.
Don Gennaro : Pourquoi donc étaient-ils obligés de t’enfermer à clef ?
Salvatore : J’ai l’impression qu’ils n’ont pas appréciée quand, le premier soir, j’ai placardé ces affiches radicales qui me restaient aux points stratégiques du bâtiment.
Marcel : Coquin de sort ! Mais c’était Stalingrad, votre asile !
Salvatore, se levant brusquement : Ah, toi ! Je m’en vais t’esquinter !
Fernand : Holà ! Une rixe !
Don Gennaro : C’est bon, papa, assieds-toi, il te provoque...parle moins fort, d’accord ? Bref, que me demandes-tu ?
Salvatore : Je ne te demande rien.
Don Gennaro : Bon, je vais te raccompagner et...
Salvatore : J’exige un poste de responsabilité dans ton entreprise. Sbrigati !
Don Gennaro : Euh...je vais aller avertir Firmino.
Il sort
Scène 3
Ilitch et Sean rentrent en scène. Ilitch assez dans le vague – il a la gueule de bois. Sean a des airs de cow-boy élégant et porte une grande sacoche. Fernand se précipite vers eux, serre les mains
Fernand : Messieurs, messieurs, bonjour. Avez-vous bien dormi ?
Ilitch : Comme une pierre.
Sean : Je n’ai pas fermé l’œil, avec tout ces damné insectes qui bourdonnaient et piquaient...
Fernand : Ce sont les moustiques.
Marcel : Cornegidouille ! La spécialité du coin ! Ainsi donc, retournons-en...(presque chuchotant) attention, il serait regrettable que Gennaro lâche ses deux lascars sur nous...sécrétion, messieurs, de la sécrétion en toutes circonstances...
Sean, à Ilitch : « Sécrétion » ?!
Ilitch : Comprends « discrétion »...et puis, c’est vrai quoi, faites moins de bruit...
Sean, à tous : J’avoue pour ma part n’y rien comprendre : la politique, ce n’est pas ma tasse de thé...je m’occupe d’explosifs, aux RG...en tous les cas, il est absolument inconcevable que vous ne m’ayez tenu au courant de rien. je suis tenté d’alerter le QG, cette histoire me paraissant particulièrement suspecte, et plus précisément, car tes machinations m’intriguent, Ilitch. Cependant, tu n’as encore rien fait de décisif...surveille tes arrières. Le jour où tu sortiras du droit chemin, je serais là.
Ilitch : N’est-ce pas un peu tôt pour des sermons ? Ennuyeux, ennuyeux Séant...
Sean : Mon nom se prononce « Schôn », grossier personnage !
Marcel : Certes, mais donc enfin voilà, vé, si je pouvais m’exprimer un quelque peu...
Fernand : L’heure est grave. Il se pourrait que le plus grand trafiquant dont les agissements sournois aient jamais gangrené le sol de notre patrie natale depuis les temps de Mandrin soit mis aux arrêts – cela, grâce à votre concours à tous. Marcel, à vous la parole.
Marcel : Certes. Oui, en fait les hurluberlus de la bande à Gennaro, à savoir les deux fous, le grand nazi, don Gennaro lui-même et l’espèce d’aventurier qui tourne autour de Suzanne, ces sinistres bonhommes, donc, ont décidé de détourner un héritage conséquent. Alors, moi, je vole la paperasse compromettante, vous, les gestapards, vous capturez ces lascars (oh ! une rime !), et vous, Fernand, vous cueillez le rosier, et même les lauriers et la ciboulette si vous voulez.
Ilitch, ironique au possible : Trèèès équitable
Marcel : Certes.
Sean : Mais qu’avez-vous avec ce « certes » ?
Marcel : Les gens bien disent « certes ».
Sean : Ils sont tous fous...bon, maintenant, les autochtones, il faudrait que vous nous laissiez discuter en tête à tête...nous devons délibérer au sujet de détails délicats.
Fernand : A votre aise, libérez, libérez. Je me rends au bureau.
Il sort, Marcel apporte une nouvelle bouteille à Fanfalon puis retourne au comptoir.
Ilitch : Braves provinciaux...il y a là de l’argent à gagner.
Sean : Non, Ilitch. Cessons ces manigances...notre mission n’est pas de faire chanter les policiers malhonnêtes. Pourrais-tu – oh ! Juste une fois – essayez de croire à...un but ?
Ilitch : Bravo ! Tous les mêmes ! Moi aussi, je suis fatigué de vos honneurs fanés ! L’innocence a été assassinée, comprends-tu ? D’abord le goulag, puis Hitler, les chars, la blitzkrieg, les massacres de civils, l’enfer sur terre...et enfin cette question lancinante, se pressant insidieuse ici, quelque part entre l’abdomen et le cœur : valons-nous bien mieux, nous autres soviétiques ?
Sean : C’est trop facile, dire « on m’a trompé » et baisser les bras. Répugnant, lâche. J’abhorre le laisser-aller. Tu me feras le plaisir de cesser d’escroquer tous ces gens, et de suivre sagement les consignes de l’état-major : ne me contrains pas à mentionner ta dissidence.
Ilitch : « Voilà Le Bret qui grogne »...
Sean : Ça ne prend plus avec moi, de citer Cyrano : tu es viré !
Il sort brusquement, sans saluer. Moue contrite de Marcel.
Salvatore, à part : Bon sang, ça envoie du lourd !
Ilitch : Aïe...j’ai perdu ma couverture...combien de temps d’ici à ce que Moscou en soit averti ? Car tout est su par le KGB...difficile mission, que celle de la taupe ! Infiltré dans le camp adverse, recherché par l’ennemi et surveillé par les amis...au moindre faux-pas, la mort. j’ai trébuché, il faudrait payer...mais je n’ais pas l’intention de périr ainsi, et ils gouteront encore de quelque petit coup à ma façon...un nouvelle fois, il me faut changer de camp : rallions Don Gennaro...
Scène 4
Firmino rentre en scène, heureux mais vaguement inquiet
Firmino : Bonjour, père !
Salvatore : Ah, mio bravo Firmino ! Infine arrivi ! sapesti quel che ha fatto Gennarino...
Firmino : Hem, là il est question du frangin...
Salvatore : Dai, che tra di noi si puo parlare la madre lingua !
Firmino : Kétradino. ? Je suis désolé, mais...
Salvatore : Oh, non mi farai un colpo alla Gennaro ?
Firmino : No ma no sé parler...
Salvatore : Mi prendi in giro !
Firmino : Voyo diré...
Salvatore : Che schifo...
Firmino : Quand nous sommes partis d’Italie...
Salvatore : Ehi !
Firmino :...j’étais encore petit...
Salvatore : Adesso prendi schiaffi !
Firmino : Désossé ? Scafi ?
Salvatore : Ma che é, rincitrullito ?
Firmino : No comprendo italiano !
Ilitch, se levant, condescend : Messieurs, permettez-moi d’éclaircir cette petite brouille...je crois avoir compris qu’étant parti d’Italie, maître Firmino ci-présent était encore bien petit, et qu’il ne maitrise pas même les rudiments de l’Italien...
Salvatore : Ah ! D’accord...mais enfin, qu’attendais-tu à me le dire ?
Firmino : Comment ?! Je m’essouffle à vous le dire depuis une demi-heure ! Sénile obstination, que de ravages fais-tu !
Salvatore : Il peut encore te frapper, le sénile !
Ilitch : Messieurs, messieurs, ne recommençons pas...mon ami, il vaudrait mieux que vous rejoignez monsieur Gennaro. Les ennuis vont lui tomber dessus plus tôt qu’il ne le pense...je vous l’assure.
Firmino : Comment ?! Auriez-vous un tuyau...
Ilitch : Je le tiens de source sûre. Méfiez-vous des barmans. Partez.
Firmino : Juste ciel...père, vous l’avez entendu : de graves affaires m’appellent...puis-je vous confier aux soins de ce monsieur ?
Salvatore : Je n’ai besoins des soins de personne. Si ton monsieur m’embête, c’est lui qui aura besoin des soins.
Firmino : Bien. Au revoir...et merci. (À part) Dit-il vrai ? Il est toujours préférable de se méfier. Quoiqu’il en soit, papa saura se débrouiller ; pour un peu, il m’aurait assommé, tout à l’heure.
Il fait la bise à Salvatore, puis sort précipitamment
Ilitch : Ainsi, vous êtes le père de Don Gennaro...
Salvatore : Et vous, alors ? Vous ne vous êtes pas encore présenté, galopin.
Ilitch : D’accord, d’accord, respectons les règles...il ne faut pas parler aux inconnus. Mon nom est Napalioné, Napalioné Macaroni, monsieur. Voilà, nous ne sommes plus des inconnus. Je suis un agent de la ligue radicale...
Salvatore : Vous ! Sauf votre respect...
Ilitch : Ecoutez-moi bien : votre concours nous est indispensable, car il s’agit du parti...de l’Italie... (plus bas) et du bloc soviétique.
Salvatore : Ah !
Ilitch : Toujours, on vous a expliqué que les soviétiques étaient nos ennemis. Non ! Il s’agit d’une manœuvre des partis communistes et de la droite conservatrice. Les russes ont toujours été alliés du centre, et le seront toujours. Staline n’est pas l’ogre que l’on vous dépeint pour vous faire peur ; oh que non ! Moi, délégué des radicaux, suis ici pour contrer une mainmise des forces fascistes sur la Provence...qui se fera au détriment de votre fils Gennaro, qui s’est fourré sans s’en apercevoir dans l’engrenage, et risque d’être broyé par le terrible affrontement de démocratie et dictature.
Salvatore : Coquin de sort ! Mais pourquoi diable Gennaro s’est-il lancé dans les affaires ? Il a du contrarier un industriel véreux, c’est assez son genre...Clémenceau, à moi ! Il nous faut le sauver. Pardonnez tout ce que j’ai pu vous dire, mon esprit était encore tout embrouillé...allons, il nous faut mener à terme la lutte radical-socialiste que nous faisons depuis tant d’années ; monsieur le délégué, je vous suis.
Ilitch : Allons, bravo ! Venez, car il s’agit maintenant de sauver vos fils d’eux-mêmes...non, attendez, voilà Séant qui se ramène. Nous allons essayer de déjouer les astuces de ce nazi.
Scène 5
Sean rentre
Marcel : Ah, pardine ! Le policier ! Dites, j’ai un quelque chose comme une idée qui m’est venu...
Sean : Et moi, c’est quelque chose comme l’envie de boire un verre qui m’est venu. Les bars n’abondent pas, dans ce patelin...vraiment, vous avez été doué : le votre est situé à un point stratégique par rapport à mon hôtel. Revenons-en à votre idée...quelle faribole abracadabrante et saugrenue allez-vous nous sortir, cette fois-ci ?
Marcel : Oh, il s’agit d’une idée, ah, d’une idée...ce n’est plus une idée, mais une illumination ! Une illumination...
Sean :...lumineuse...
Marcel : ...mais coûteuse.
Sean : Coûteuse ? Elle est compromise, votre sombre inspiration.
Marcel : Diantre ! Voulez-vous mettre la main sur Don Gennaro ? Voulez-vous servir la France ? Si oui, il faudra tenir compte de moi, surtout si j’ai des idées, car je suis bien capable de tout faire rater : n’oubliez pas que je suis votre informateur chez l’ennemi. Monsieur Sans, à gros mots, grands remèdes : comme le disait mon père, c’est le savon qu’on emploie pour les gros mots.
Sean : Je crois qu’il y a confusion dans les termes...
Marcel : Laissez Caligula et ses thermes là où ils sont, car ils y sont très bien. Ce n’est pas de l’histoire que nous faisons. Bon, vous êtes censé être l’expert en explosifs, n’est-ce pas ? Oui. Et bien, vous n’aurez, dans mon plan, qu’à faire votre travail, pardi ! Ce n’est pas bien difficile.
Sean : Pas bien difficile ? (Il sort un bâton de dynamite de sa poche) Comment vous comporteriez-vous avec ça ?
Marcel : Cornebleu ! Evadé rétro, pampan !
Sean : C’est bien ce à quoi je m’attendais : vous nous sortez les locutions latines – enfin...ne vous affolez pas, il est vide, et de toutes façons je ne vous laisserais en aucun cas toucher à un bâton de dynamite.
Suzanne, rentrant : Bonjour tout le monde ! (Plus bas) Mon pauvre Marcel, quel air de revenant ! Tu as dû travailler jusqu’à point d’heure.
Marcel : J’ai trié les bouteilles.
Suzanne : Il manque le Brunello 1949.
Marcel : Cornegidouille ! C’est étonnant. J’aurais juré qu’elle était là hier soir...mais que veux-tu, les bouteilles, c’est comme les esprits : ça se volatilise...
Suzanne :...dans le gosier des ivrognes. Allons Marcel, cesse de t’agiter, parle gentiment au monsieur, je m’occupe du reste.
Sean : Un peu d’autorité ! Enfin quelqu’un qui comprends ce qu’il faut à ce barman fou.
Marcel : M’enfin...c’est bon, hé, je peux m’occuper de moi-même...
Sean, à part : Ça, c’est encore à voir...
Suzanne : Dans ce cas, moi, je peux gérer mes sentiments toute seule. C’est de bonne guerre ; l’un surveille l’autre, et les deux se sentent prisonniers. Je t’éloigne des bouteilles tentatrices, et tu chasses les garçons sans le sou ; où est le mal ? Mais un jour, attends toi à ce que cela change...car on ne peut rester sa vie durant liés inexorablement à un ramassis de certitudes et de conventions étouffantes. L’aventure arrivera d’un coup comme le typhon des mers d’Asie, tout sera balayé, et je me laisserais emporter, comme si je n’avais pas attendu cela depuis tant d’années. Bavardes donc avec ton gaucho.
Elle s’éloigne
Sean : C’est une forte tête ; les forte têtes, ça se mate. Il vous faut absolument la marier, avant qu’elle ne fasse des bêtises...voyons, elle a tout au plus vingt-cinq ans. La majorité est passée, mais c’est bien tôt pour avoir un enfant...qu’en feriez-vous, d’ailleurs ? Vraiment, cette faute lui pèserait toute sa vie, et ce ne sont pas nécessairement ceux qui feront semblant de rien qui seront les moins cruels. Marcel, concédez-moi cela : occupez-vous d’elle avant qu’il n’arrive un malheur, car des femmes d’un tel tempérament sont rares.
Marcel : Halte, halte, je veux en revenir à mon histoire, qui est aussi diablement intéressante ; allons, c’est à mon tour de disséquer...euh, de disserter.
L’angliche, rentrant, aparté : Il est onze heures, elle devrait... (Apercevant Suzanne) Ciel ! La voici ! Tranquille. Sérieux. Etudions une approche séductrice... (Il s’assied d’un coup sur la chaise libre à la table d’Ilitch et Salvatore) Marcel ! Un café, s’il vous plaît !
Marcel : Un instant, le citadin, et je suis à vous.
Salvatore : Jeune homme, nul ne vous a autorisé à vous asseoir ici. Veuillez déguerpir, en vitesse.
Ilitch : Mais non, mais non, je vous en prie... (À Salvatore) c’est un camarade de Don Gennaro, et l’un des membres les plus...influençables de l’organisation. Tenez, regardez-le, il se pâme d’émotion à chaque passage de la fille, là ; je vais le sonder sur ce point.
L’angliche : Je peux donc rester ici ? Merci bien, très aimable à vous. (Il reçoit le café) Ah, enfin...C’est par pur hasard que j’ai échoué ici, messieurs ; il n’y avait nulle préméditation dans ce geste.
Ilitch : Tiens donc ? Nous sommes pourtant à un bon poste d’observation, camarade.
L’angliche, à part : Poste d’observation ? D’où sort-il donc ces idées là ? Il est un peu jeune pour radoter...à moins que...mais non, c’est impossible.
Marcel, à Sean : Donc, donc, écoutez-moi bien...je mets mon bar à la disposition des Renseignements Généraux. Il faut que vous vous engagiez à rembourser tous les dégâts pouvant être occasionnés.
Sean : Difficile.
Marcel : Chut. Après quoi, vous, le saboteur, vous posez votre matériel ici...nous ferons ça cet après-midi. Alors, vous placez la boîte à explosions ici...vous savez, celle avec le tire-bouchon qu’on appuie...bref, on se tire d’ici et je presse le détonateur, donc boum ! Plus de Gennaro !
Sean : Je ne peux pas faire exploser un bar comme ça, il y a des papiers à signer, une demande auprès de l’administration à faire, et puis nous voulons Gennaro vivant...
Marcel : Il n’y a qu’à régler la dose. C’est comme avec la Picon-citron-curaçao : le tout est de bien doser les quatre tiers.
Sean : J’ai déjà lu ça quelque part...
Marcel : La recette ? Alors vous mettez d’abord un tout petit tiers de curaçao, puis...
Sean : C’est bon, c’est bon, j’ai compris. Je ne peux pas réaliser votre plan.
Marcel, véhément : Mais bon Dieu, n’avez-vous pas encore réceptionné l’information ? Regardez, là : avec vos airs de führer, vous avez fait passer le coco du côté des méchants. Don Gennaro va prendre connaissance de nos intentions, prendre le trésor et lever les voiles ! Peuchère, il est malin l’agent secret ! Mais Gennaro m’en a faites voir trop, et de trop grosses, et quand on m’en fait trop, je ne correctionne plus, je dynamite, je ventile, j’explose ! Alors vous allez le mettre en pièce, ce bar, car je n’ai aucune envie de rater Don Gennaro et le nazi, entendu ?
Sean : Voyons, mon brave, vous savez bien...et puis zut ! D’accord, je suis votre homme. Vous me lassez, à la fin, avec votre rhétorique. Je placerais ici une machine infernale de puissance moyenne, qui sera réglée pour, disons, six heures ce soir. Bien ; je viendrais le placer à quatre heures, il me reste donc trois heures de préparation...c’est réalisable. Faites en sorte qu’ils soient là au moment voulu...non, tenez, je préfère éviter l’imprévu. Je reviens sur mon assertion de tout à l’heure (sortant un paquet de sa sacoche) et je vous confie ceci : un détonateur, deux fils, rouge et bleu, ainsi que du plastic. Saurez-vous vous en servir ? Le fil rouge, sur le bouton rouge, le fil bleu, sur le bouton bleu, et il n’y aura plus qu’à appuyer.
Marcel : Parfait, parfait, je sens que moi et les explosifs sommes déjà copains...
Sean : C’est bon ; je vous laisse, j’ai du travail.
Il sort
Marcel : De par ma chandelle verte, cette fois-ci, Don Gennaro sera accueilli avec des slaves d’honneur
Scipion : Qui parle de slaves ?!
Salvatore : J’en ait déjà vues, des Russes, ça vaut le coup d’œil...et le passage sous la couette.
Ilitch : Approuvé, quoique les Françaises...
L’angliche : Ne voulait-il pas parler de « salves d’honneur » ?
Ilitch : Oh ! Vous brisez tout le charme du lapsus. Nous remettrons à plus tard nos élucubrations sur les slaves, monsieur le père de Don Gennaro.
Suzanne, passant, froide : Tiens, monsieur L’angliche ? C’est bien, prenez un café, et vous aussi, le russe...vu tout ce que vous avez bu hier soir, vous devez avoir un drôle de mal de tête.
L’angliche, regardant Ilitch : Oh ! C’est vous ? Veuillez m’excuser...je ne vous avais pas reconnu.
Ilitch : Il me manque ma chope de vodka. Ici, il n’y a que de mauvaises liqueurs...ce sale Ricard me fait panser aux crues du Yang-Tseu-Kiang : plus il y a d’eau, moins il y a de jaune.
Suzanne : C’est cela, c’est cela, cuvez votre vin. Décidemment, ce sont bien tous les mêmes, les hommes...qui avec la bouteille, qui avec les filles...il n’y en a pas un pour relever l’autre.
Fanfalon : Peuchère ! Vous leur en mettez plein la tête, là ! Un vrai feu d’artifice ! C’est toujours la même chose quand vous avez la gueule de bois, Suzanne.
Ilitch : Il me semble en effet, madame, que vous aussi avez eu quelque relations ambigües avec les bouteilles.
Suzanne : Nous ne vous avons pas sonné, capitaine ; gardez vos répliques pour vous. Il faudrait que vous en sussiez de plus longues et de plus dures pour me blesser.
Ilitch : Je ne comprends pas le jeu de mots.
Suzanne : Il n’y en a pas ; cherchez-en un, si cela vous chante.
Elle s’éloigne à nouveau, rejoint Scipion ; bavardages
L’angliche : Je n’y vois goutte...d’où lui vient cette humeur ?
Ilitch : C’est évident.
Salvatore : Je dirais même plus, c’est clair.
L’angliche : Ah bon ? Pour vous, peut-être. Moi, je suis tout à fait perdu. Hier pourtant cela avait l’air d’aller...il y a eu comme quelque chose...j’ai jeté un coup d’œil sur elle et tout de suite une vibration imperceptible a terni l’air trouble du soir provençal...
Ilitch : Ce n’est pas comme cela que ça marche...
Scipion, comme s’il continuait une phrase, à Suzanne :...c’est toujours la femme qui jette le premier coup d’œil, je vous l’assure...puis l’homme est attiré irrésistiblement, comme s’il était pris par un hameçon ; c’est ainsi que l’on meurt...
Suzanne : Sous les yeux sombres d’une femme...
Ilitch :...entre les bras d’un autre être, d’un autre soi...
L’angliche :...sans plus vraiment être qui l’on était...
Scipion :...ni étant tout à fait l’autre...
Suzanne :...c’est de la magie, la magie des passions...
Ilitch :...de tels sortilèges ne se brisent pas : ce sont eux qui viennent à bout de vous...
L’angliche :...et il ne reste plus que l’enveloppe creuse de l’homme...
Suzanne :...et de la femme...
Ilitch : Voilà ce qu’est l’amour-passion stendhalien ; voilà la vilaine maladie que vous avez attrapé, L’angliche ; ne tentez pas de lui faire obstacle...
Scipion : Que l’on s’y abandonne ou que l’on résiste, on en meurt.
Salvatore : Dieu, que cela est compliqué ! Vous faites du sentimentalisme, mes pauvres ; j’ai pour ma part toujours prôné l’action, seulement l’action, car il n’y a qu’en agissant que l’on obtienne un quelconque résultat : tout le reste est galimatias. Ainsi, cessez de rêvasser aux roses blanches, aux châteaux seigneuriaux hérissés de tours penchées, aux nacelles de nacre suspendues dans les nuages. Cela ne signifie rien et ne mène à rien. Balivernes ! Balivernes ! Quel beau mot, « baliverne »...j’aime à l’entendre. Continuons : balivernes !
L’angliche : Parfaitement, parfaitement !
Ilitch : Très beau mot, sublime !
L’angliche : « Baliverne », vraiment, c’est de l’art. Passons à autre chose.
Salvatore : Voyez, là, ces jambes, fines et délicates mais nerveuses, frémissantes, avec de ces formes féminines et fuselées à vous en rendre fou...je ne vois pas pourquoi vous vous retenez.
Ilitch : Voyons, sa réaction est claire : elle vous aime, mais elle ne le veut pas. Quelque chose, son honneur, un autre homme, la retiennent...ou alors, elle est plus intelligente que vous, et elle a compris que la tombe sera l’aboutissement de cet amour.
L’angliche : Mais alors...y aller ? N’y pas aller ? Ce serait si difficile, si contraignant de retranscrire ses pensées par des mots ? Maintenant encore, je me sens dans un rôle, maintenant encore je me sens prisonnier, guidé, forcé de suivre ce piège...que ne sont-ils tous ainsi les pièges ! Pourquoi devrais-je le dire ? N’est-ce pas mieux, de garder cela pour moi seul ? N’est-ce pas mieux, de laisser ce poison me ronger, seul, passant d’affres en béatitudes, tombant dans les abysses du sublime pour retourner aux cimes ensoleillés du commun ?
Suzanne, à Scipion : C’est si beau, cette douleur presque bienvenue tant elle est terrible et prodigieuse dans sa volonté d’annihiler et de presser chacune de mes pensées ne se pliant pas à ses désirs, à mes désirs, chacune de mes pensées ne se tournant pas vers Lui à l’instar de ses pensées qui elles aussi, je le sens, ne poursuivent leur danse kaléidoscopique que par l’existence d’Elle, de moi ? Et encore, peut-être ce mal céleste n’a-t-il pas encore accompli tout ses ravages ; je choisis encore mes mots, il n’est pas encore là, ce flot turbulent qui rendra vaine toute tentative de contrôler le jeu...
Ilitch : C’est un jeu, tout est jeu, il s’agit pour vous comme pour elle d’une conquête, d’une lutte, et aucun des deux adversaires n’en réchappera.
L’angliche : Tant de grandeur...tant d’éclat...oui, toutes les lueurs de la mort offertes ainsi à nous, au beau milieu du banal et de l’inutile...j’en tremble, de la fièvre, de l’amour, je ne peux plus comprendre, et alors Ils s’empare de mes gestes et il n’en est plus un que j’ai choisi...car maintenant il est présent, l’amour, et nos volontés ne sont plus qu’une goutte dans le néant. Ce mal...mais qu’elle souffre, enfin ! Ne plus la voir souriant, devant moi, innocente, fraîche, savoir que l’amour la flétrit et la consomme tout comme moi, la savoir aussi folle et honteuse et exagérée que je ne le suis, savoir qu’un autre être se tord de douleur pendant ses nuits agitées, et que son âme crie sous les coups de fleuret d’un amour trop puissant et trop noble qui tente de s’emparer de vils humains, de nous si imparfaits qui passons notre vie à chercher la cause qui nous rendra enfin humains...
Suzanne : La voilà, la cause...
L’angliche : Un but, là...je cours, je vole, lui dire...
Herr Doktor rentre en scène, attrape L’angliche
H.D : Assez trainé, voyons ! L’angliche, dépêchez vous...
L’angliche : Un moment...
H.D : Nicht ! Raus ! Dehors ! Il y a du travail. Nous ne vous payons pas pour bailler aux corneilles dans un bar. Que fait Fernand pendant que vous vous saoulez ?
L’angliche : Je n’en sais trop rien...
H.D : Dehors !
Ils sortent
Ilitch, narquois : Rien n’est jamais acquis à l’homme Ni sa force
Ni sa faiblesse ni son coeur Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d’une croix
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce
Il n’y a pas d’amour heureux
Suzanne, perdue dans ses pensées : Mon bel amour mon cher amour ma déchirure
Je te porte dans moi comme un oiseau blessé
Et ceux-là sans savoir nous regardent passer
Répétant après moi les mots que j’ai tressés
Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent
Il n’y a pas d’amour heureux
Scipion, un peu ivre : Le temps d’apprendre à vivre il est déjà trop tard
Que pleurent dans la nuit nos coeurs à l’unisson
Ce qu’il faut de malheur pour la moindre chanson
Ce qu’il faut de regrets pour payer un frisson
Ce qu’il faut de sanglots pour un air de guitare
Il n’y a pas d’amour heureux
Suzanne, sur le ton de la conviction : Il n’y a pas d’amour qui ne soit à douleur
Il n’y a pas d’amour dont on ne soit meurtri
Il n’y a pas d’amour dont on ne soit flétri
Et pas plus que de toi l’amour de la patrie
Il n’y a pas d’amour qui ne vive de pleurs
Il n’y a pas d’amour heureux
Mais c’est notre amour à tous les deux
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trotsky
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MessageSujet: Re: Le Projet   Le Projet Icon_minitimeLun 11 Juin - 16:43

Acte III

Scène 1
Même jour, même lieu, 17 heures. Louis, Marius, Salvatore et Ilitch sont très absorbé par une partie de manille, dont ils expliquent les règlements à Ilitch ; Scipion est encore adossé au comptoir, un verre à la main ; Fanfalon ronfle sur ses livres de compte ; Marcel range discrètement l’argent de la caisse dans une valise, contrôlant de temps en temps que les explosifs soient à leur place
Marius _ Dis, le russe, il faut avouer que bien que tu joues à la manille comme un nigaud, tu es sacrément doué... (Plus bas, évitant Salvatore) c’est la première fois que quelqu’un réussit à dompter le vieux de Gennaro.
Louis _ D’ailleurs, nous n’avons jamais réussi à extorquer un paquet de cartes à cet avare de Marcel...
Ilitch _ Que voulez-vous, mes amis, la réussite, on l’a dans le sang...prenez Lénine, prenez Marx, tout est une question de prédestination. Je sens que je n’existe que pour et par le triomphe, et pour cela il me faut tout d’abord me concilier ceux qui étaient là avant moi...il faut aussi savoir faire la distinction entre moment et moment.
Marius _ C’est vrai : il y a un moment pour festoyer, et un pour jouer aux cartes.
Salvatore, mettant l’atout _ Pardi ! Voilà un moment pour gagner des points. Deux de cœur, atout, je te prends l’as. J’ai gagné.
Louis _ Zut ! Nous ne l’avions pas vu venir, celui-là !
Marcel _ Il y a aussi des moments pour payer l’addition...
Ilitch, lançant une pièce à Marcel _ Oui, il y a des moments pour payer ses dettes, mais ceux-là ne viennent qu’à la toute fin. Je faisais plutôt la distinction entre des temps de repos, de plaisir, et d’autres où il faut rester sérieux. Quand j’ai affaire à Don Gennaro : sérieux. Quand je commente les jambes des passantes avec monsieur Salvatore : détente. Une partie de cartes avec un verre de pastis à mes côtés : détente, à nouveau.
Louis _ Connaissez-vous l’huit américain ? C’est un jeu de cartes de mon invention : il vous faut pour cela huit cartes chacun...
L’espion soviétique rentre dans le bar. Il est peu discret, mais Ilitch, dos à la porte, ne le remarque pas
Espion soviétique, fort accent _ Une bière, s’il vous plaît.
Marcel _ Sur le champ, monsieur. Vous êtes étranger, n’est-ce pas ? Peuchère, c’est que ça s’entend, avec votre accent...d’où diable venez-vous ? Pardonnez la discrétion, mais vous avez une drôle de tête pour un touriste.
Espion soviétique _ Je suis belge, de Liège une fois !
Ilitch, sursautant _ Diantre ! Cet accent...
Louis _ Ah ! Vous avez un drôle d’air, Ilitch...
Ilitch _ Non, non, tout va bien...
Louis _ Mon petit doigt me dit que votre jeu est déplorable...vé, vous êtes tout pâle comme un fromage.
Marius _ Ou même comme un repartant.
Louis _ Voir un revenant !
Espion soviétique _ Camarades, le plus simple est de dire « fantôme ».
Ilitch _ Marcel, envoie une autre bouteille de pastis...
Marius _ Allez, va, bois un coup pour te remonter, le russe ! C’est un beau changement de température, eh, de descendre jusqu’ici !
Espion soviétique _ Un russe ? Intéressant, très intéressant...ce n’est pas commun. Je cherchais justement un homme de cette nationalité...un camarade qui n’a pas été malin, et s’est mis dans une fâcheuse situation. Je dois le ramener au camp...
Marcel _ Palsambleu, alors ce n’est pas de notre coco que vous avez besoin !
Espion soviétique, s’approchant d’Ilitch _ Tiens ? Quelle coïncidence...figurez-vous, tovaritch, que c’est justement un petit marxiste que je cherche...
Ilitch, bredouillant _ Et bien...bien que cela ne semble...toutes considérations pondérées...il se peut, du moins...pourrait, en fait...que je ne sois pas...
Espion soviétique _ Vous ressemblez beaucoup à cette personne.
Ilitch _ Mais...enfin, je vais aller faire un tour...prendre l’air...veuillez m’excuser, j’ai...comme un étouffement...un instant.
Il sort
Espion soviétique _ Assez trainé. Il me reste du travail à faire. Excellente, votre bière.
Marcel, accent belge _ Nom d’une moule, une fois ! C’est qu’elle vient de Belgique, cette bière !
Espion soviétique _ Comptez sur moi pour en parler, à Ostende...dasvidania, camarades.
Il sort, à la suite d’Ilitch
Marcel, même jeu _ Eh oui, de la bonne bière de Belgique, et pas d’eau française, que j’ai de la spa, une fois ! Mais... (Ton normal) il n’a même pas bu sa bière ! Et pourquoi nous parlait-il tantôt d’Ostende, s’il vient de Liège ? Ma gidouille, je sens qu’il y a une drôle d’affaire là-dessous...
Louis, sérieux, à Marius _ Il a raison, Marcel, il y a là quelque chose qui cloche...j’ai bien envie de tirer cette affaire au clair.
Marius _ Je trouve, pour ma part, que cette affaire est claire, lucide, je dirais même extralucide.
Louis _ Pardi ! Tu te prends pour ce cher Loque Hall-messe ?
Marius _ Ce n’est pas pour dire, mais je crois que, de même que ce grand Hall-messe, j’ai un don pour ce qui est de sortir de brillantes déductions...
Louis éclate de rire
Marcel, bourru _ Ö les guignols ! Si les cartes vous ont rendu fadas, avertissez-moi, j’appelle directement l’asile des fous !
Marius _ Ne t’inquiète pas Marcel, c’est normal...dis, Louis, je crois que moi, j’ai compris le fond de cette affaire : Ilitch, il n’est pas plus russe qu’une vache espagnole.
Louis _ Il est espagnol ?
Marius _ Non...il est évident que l’autre client le connaissait. Tu as d’ailleurs remarqué son étrange accent...un accent n’ayant rien de belge...
Louis _ Aïe ! Aïe aïe ! Je commence à comprendre : en fait, les deux sont des espions...
Marius _ Oui, l’autre aussi est un espion, et Ilitch aussi, deux espions...
Louis _ Soviétiques !
Marius _ Non, frangin : belges.
Louis _ Mais leur accent ?
Marius _ Ils ont fait semblant tout le long : en fait, ils voulaient dissimuler leur identité belge...
Louis _ En nous faisant croire qu’ils étaient des faux belges vraiment russes alors que ce sont de faux russes mais de vrais belges. Mais alors nous sommes perdus : Ilitch nous a vendus à la Belgique !
Marius _ Non, car nous le savons, donc...
Louis _ Nous pouvons lui tendre un piège ?
Marius _ Peuchère ! Et le capturer, avec ça !
Louis _ Il faut absolument prévenir le nazi.
Marius _ Pour qu’il s’approprie la gloire de notre glorieuse intervention ?
Louis, fort, tous se retournent vers eux _ Excellent, excellent, frangin ! Un vrai plan macaquélique !
Scène 2
Don Gennaro et Herr Doktor arrivent et s’asseyent sur la table voisine. Ils portent une grosse valise.
H.D _ On dit « machiavélique », ignares, quoique vos plans ne puissent rivaliser qu’avec ceux établis par des macaques.
Louis, indigné _ Le macaque est un oiseau très intelligent !
Marius, intrigué _ Ce n’est pas une ville chinoise, Macaque ?
Louis _ Non, cette ville là s’appelle Cacao.
Marcel _ Quels abrutis... (À part) pas fâché de m’en débarrasser, sacrebleu ! S’ils savaient ce qui les attend...mais...ils sont tous là...et si j’essayais...
Don Gennaro _ Nous nous écartons du sujet. J’ai ici l’argent, celui du magot secret d’Antonio.
Marius _ Oh !
Louis _ Miracle !
Marcel _ Cornegidouille ! Quelqu’un a parlé d’argent ?
Don Gennaro _ Ce ne sont pas tes affaires, Marcel...je trouve bien suspect que tu fourres, ces derniers temps, ton nez là où il ne devrait pas être...tu pourrais te mettre dans un méchant pétrin.
Marcel _ Moi ? Peuchère ! Seuls les carabistouillards diplômés du genre de vos deux niais de gaillards, là, font de telles âneries ! Et puis, vous le savez bien : j’ai compris depuis longtemps que la meilleure façon de ne pas attraper d’ennuis est de ne pas prendre parti...
Scipion _ Marcel ! Un mandarin-curaçao ! En vitesse !
Marcel, aparté _ Aqui lou fada ! Té, Suzanne part un moment et voilà qu’il s’en prend à moi, cet autre...faudra aussi la recadrer, cette petite, palsambleu ! Que le gamin du Doktor lui fasse les yeux doux, soit, mais ça a l’air sérieux, et ça, ce n’est pas bon pour les affaires...je serais obligés d’engager un serveur à la mi-journée...et ce lascar n’a pas le sou, pas de dot, le vil maraud (eh ! Eh eh ! Une rime !)...alors, du vent !
Scipion _ Ce n’est pas bientôt fini, ce soliloque ?! J’attends, moi !
Pendant ce temps, Don Gennaro et Herr Doktor ont installé précautionneusement une valise sous la table ; avec surprise, ils en découvrent une pareille. Mimiques ; ils décident de changer la position des valises pour ne pas les confondre. Marcel a servi Scipion ; il installe sur un tabouret, dissimulé, le détonateur, attrape les deux fils. Marius et Louis reprennent une partie
Marcel _ Le fil rouge, sur le bouton rouge ; le fil bleu, sur le bouton bleu...
Louis _ La manille, à deux, ce n’est plus la peine...une bataille ?
Marius _ Non, tu triches mieux que moi à ce jeu là...ô Salvatore !
Salvatore _ Signor Salvatore !
Marius _ Ça ne vous tenterait-il pas, de reprendre une manille ?
Salvatore _ Moi, contre vous, ça se fait, mais attention, je suis un joueur terrible. Avant j’étais ralenti par cet empoté d’Ilitch, mais là...
Louis _ Je distribue.
Salvatore _ Lou Firmino, qu’est-ce qu’il fait, Gennarino ? Est-il malade ?
Don Gennaro _ Il est...au tribunal.
Salvatore _ Ah, c’est ça d’être homme de loi...il a réussi sa vie, lui.
Entre Firmino
Firmino _ Bonjour. Avez-vous récupéré le colis ?
Salvatore _ Eh ! Tu n’es pas au tribunal ?
Firmino _ Quel tribunal ? Je suis notaire, pas avocat !
Salvatore _ Ah, Gennarino ! Qu’est-ce que cette histoire là !
H.D _ Rien, rien du tout, monsieur, je crois que votre fils s’est trompé...
Salvatore _ Il a menti, oui !
Marcel _ Hourra ! On ressort le panzer. On va bien rire ! En place, profitons du spectacle.
H.D _ Veuillez comprendre...
Salvatore _ Je ne comprends que trop bien !
Don Gennaro _ Père, un instant de distraction...
Salvatore _ Il est beau, ton instant de distraction !
Firmino _ Voyons, papi, il s’agit sans doute d’une erreur...
Salvatore _ Tu prends leur parti ? Sciagurato !
Marcel _ Peuchère ! 3/0 pour l’aïeul !
Firmino _ Ce n’est pas bientôt fini, vous ? S’il vous jette dans le port, je n’y pourrais rien !
H.D _ Vous jouez avec le feu, Marcel !
Salvatore _ Bon sang, barman ! Cette fois-ci, je t’étripe !
Don Gennaro _ Temporisons, temporisons...nul besoin est de malmener ce bon Marcel...
Salvatore _ Cause toujours, toi...
Firmino _ Ah, voici la valise ! C’est là dedans ?
Don Gennaro _ Oui...messieurs, ceci, c’est notre fortune assurée !
Marcel _ Fortune, lune, bure, mûres...
Scipion _ Ha, ça va, vous ! Nous avons compris, vous devriez être poète ! Mais le poète... (À part) le poète est au-dessus du simple rimailleur...c’est un loup, un loup des steppes, un damné, un fou...le poète se trouble les sens à force de sentir la sublime perversité de l’univers : il aspire à la découverte de Soi, mais ce chemin est long et solitaire...le poète, le poète sincère et naïf dans sa cruauté, a troqué sa raison pour l’absurde des passions contrastantes...oui, la poésie est réservée aux insensés.
H.D, tenant son verre ; lui et les autres ont commandé une tournée générale _ ...donc tout est arrangé. Nous avons ici vingt millions de francs en petites coupures...
Don Gennaro _ ...nous avons mis la main sur ses papiers, et avons découvert que le magot était caché dans un tiroir secret, sous son lit...il aurait mieux fait de le placer à la banque. C’est ça, d’être romanesque.
H.D, bas, à Firmino _ Savez-vous qui était le légataire ?
Firmino _ Hélas, je présume que vous avez-vous aussi découvert...
H.D _ Comment diable a-t-il pu entrer en relation avec Antonio ?
Firmino _ Cela, nous ne le saurons jamais, maintenant que le vieux est mort...
Don Gennaro _ Allons, on se refait une tournée ! Marcel, à l’attaque !
H.D _ Gennaro, je viens d’avoir une idée prodigieuse d’ironie...allons voir à la banque s’il y a moyen de mettre l’argent au coffre-fort. Les jumeaux, surveillez cette malle comme la prunelle de vos yeux.
Marius et Louis, ensemble _ Chef, oui chef !
Marcel _ Pardi, ils vont partir ! Alors, le fil rouge, sur le bouton rouge, le bleu... (Il ouvre le couvercle) un bouton blanc, un bouton vert ! Euh...le fil rouge sur le vert, le bleu sur le blanc...ah, ils sortent... (Il appuie. Aucun résultat) Zut !
Don Gennaro _ C’est bon, les petits, repos...au revoir, père.
Firmino _ Je vous salue, papi...ce soir, j’ai organisé un petit diner avec quelque camarades du pays : n’y manquez pas.
H.D _ Auf wiedersehen, Herr Salvatore. Surveillez bien ces deux zozos, je sais pouvoir compter sur vous.
Ils sortent
Marcel _ Vé ! Ö Gennaro ! Ö Doktor ! Vous ne prendriez pas encore un verre ?
Louis _ Donnes-nous deux whisky-soda, Marcel.
Marius _ Cela nous rappellera Antonio...n’empêche, quel sale coup qu’il nous avait fait...
Marcel _ Si vous pouviez d’abord régler votre compte, sac à papier, ça m’arrangerait bien !
Salvatore _ Laissez, laissez, je m’en occupe...
Marius et Louis, en chœur, l’air de gentils petits gamins _ Merci, m’sieur !
Marius _ Vrai qu’il faut que tu sois sabre, pour tirer, Louis !
Louis _ Peuchère ! Ça oui ! Ce n’est pas le moment de boire des spirituels, comme on dit !
Scipion, aparté _ Sapristi, ça reprend...quel ennui, tout cela sent à plein nez la comédie ; j’ai l’impression de faire de la figuration pour Pagnol. Pourquoi sommes-nous tout voués à jouer un rôle – moi, celui de l’affreux grigou alcoolique ? Et là-bas, sous le soleil effarant, brûlant d’Afrique, alors que les mouches bourdonnaient et se posaient comme de fins grains de topaze et d’émeraude sur les corps abattus des hommes et des bêtes, là-bas, en Afrique, où les cadavres roides et solennels des éléphants paraissaient de granit, on m’évitait aussi, et me craignait...amok...quel est mon But ?
Louis _ Bon, allons-y, je suis revigoré ; toujours aussi bon ton whisky-soda, Marcel. Il est temps de neutraliser Ilitch.
Marius _ Taïaut ! La chasse est ouverte !
Ils sortent ; Salvatore s’agite, inquiet
Scène 3
Marcel _ Bon, ils sont partis...enfin la paix. Fernand devrait bientôt être là pour récupérer le paquet... (S’approchant de la table) c’est bon, l’immobile du crime est toujours là.
Salvatore _ He là ! Qu’est-ce qui vous prends à fourrager ainsi dans nos affaires, mélangeur de liqueurs ? Les fleurs, ça se cueille dehors...
Marcel _ Les fleurs ? Je ne cherche pas des fleurs, ma gidouille !
Salvatore _ Pourtant, vous allez vous prendre une belle giroflée à cinq pétales...
Marcel, aparté _ Té, le vioc, aimable comme son fils... (Fort) Peuchère, c’est qu’il faut nettoyer un peu ces tables, nom d’une machine à vent ! (Suzanne sort de l’arrière-boutique, portant sa veste et une valise ; Marcel ne l’a remarque pas) Ö Suzanne ! Ö cousine ! Ça n’y serait pas de refus, un petit coup de main !
Suzanne _ Je suis là.
Marcel, se retournant _ He ? Vé ? Quoi ? Comment ? Mais qu’est-ce...holà, holà, du calme, qu’est-ce qui arrive ? Tu...tu pars ?
Fanfalon, réveillé par le bruit _ Ho ho ! Un départ ? Le bateau, il est libre, Suzanne !
Suzanne _ Vieux satyre ! Pour commencer, ce n’est pas un bateau le vôtre, capitaine.
Fanfalon, goguenard _ Pardi ! Et qu’est-ce que c’est alors ? Un aéroplane ?
Suzanne _ C’est un baquet.
Fanfalon _ Un...baquet ?
Scipion _ Carrément un bac à sable, mais avec une grue à l’avant. Ça vous semble-t-il un bateau ?
Fanfalon _ Messieurs, je suis outragé.
Marcel _ Ö capitaine, c’était de la plaisanterie...il est très beau, ton dragueur...
Suzanne _ Un dragueur, ce n’est pas un bateau, sur terre comme sur mer.
Fanfalon _ C’est intolérable ! Madame...
Suzanne _ Mademoiselle...
Fanfalon _ Oh, flûte ! Vous, je vous retire mon estime. Vous êtes désormais pour moi une femme inestimable.
Salvatore, levant les yeux au ciel _ Décidemment...
Fanfalon _ C’est bon, le radoteur, vous n’allez pas m’apprendre mon français ! J’exige des excuses ; au revoir.
Marcel, désespéré _ Mais ils te les font, leurs excuses ! Ne pars pas, hé, Fanfalon ! N’est-ce pas que tu les lui fais ?
Suzanne _ Taratata ! Je ne vous écoute même pas.
Fanfalon _ Et bien tant pis ! De toute façon, je les refuse, vos excuses ! Adieu !
Il sort
Marcel _ Ah bravo, toi ! Qu’est-ce que tu me fais fuir tout les clients ?
Suzanne _ Je pars avec Julien.
Marcel, s’esclaffant _ Tu pars avec Julien ? (En rigolant encore un peu) Tu pars avec Julien ? (Interloqué) Tu pars ? (Inquiet) Mais tu t’en va vraiment, là ? (Elle acquiesce) Cornegidouille ! Comment ça, « je pars avec Julien » ? Mais tu rêves, ma pauvre ! Avec lui, cet hurluberlu, ce bon à rien – non, ce mauvais à tout ?
Suzanne _ Et alors ? Qu’est-ce que cela peut-il te faire ? Il m’aime ; moi aussi, je crois...nous partons à Paris, il a un oncle là-bas qui lui donnera un poste dans sa banque.
Marcel _ T’a-t-il fait une déclaration ? T’a-t-il demandée en mariage ?
Suzanne _ En mariage ? Non, en fait il ne m’a rien dit encore...mais il me regarde...
Marcel _ Pour sûr ! Pour sûr ! Même le vieux de Gennaro et le russe les regardent, tes jambes ! Voilà bien votre mentalité ! Mais enfin, jeune écervelée, ça ne fait rien, à ton avis, de découcher ? Qu’allez-vous faire quand vous aurez un enfant entre les bras ? Dis, même monsieur Sans, qui est des Renseignements généraux et très malin, il s’inquiétait pour toi...tu ne peux pas nous faire ça.
Suzanne _ Je m’en fiche du cow-boy. D’ailleurs, tu deviens grossier.
Marcel _ Peuchère ! C’est ça, moi grossier ! Sors d’ici, petite dévergondée !
Suzanne, très digne _ Je sors par moi-même : nul besoin n’est de me pousser ou de m’injurier. Adieu.
Exit Suzanne ; Marcel, contrarié, essuie furieusement les verres
Salvatore, aparté _ Ouf ! Ça a bien crié. Elle a du caractère, la gamine. Même papa ne m’a pas fait de telles scènes quand je suis parti. Femmes ! Toujours les mêmes ! Bon sang, comme mon cœur bat fort...un de ces jours, je vais faire une attaque. Maudite soit la vieillesse, automne implacable de la vie ! Le sens s’abrutissent, la peau se parchemine, l’amour se gâte – tout cela d’un coup. Et le regard des autres...oui, voilà la grande peur quand survient la vieillesse : être exilé de la jeunesse...ah ! J’oubliais ! Il me faut rattraper Napalioné...ces deux imbéciles seraient capables de le rattraper.
Ilitch, rentrant en scène à toute vitesse _ Salvatore !
Salvatore _ Ecoutez, monsieur le délégué...
Ilitch _ Non, laissez-moi parler d’abord. J’ai knock-outé l’espion russe...on me suspecte, par je ne sais quel infernal complot, d’avoir manqué à mes obligations envers le Kremlin. Alors voilà : il faudrait que je prenne l’argent qui est contenu dans cette valise...
Salvatore _ L’argent de Gennaro !
Ilitch, aparté _ Inventons une belle histoire... (À Salvatore) l’argent qu’a pris Gennaro appartient à un haut dignitaire soviétique...le KGB tente de le reprendre depuis plusieurs mois, mais votre fils s’en est approprié par mégarde...les services secrets radicaux vont vouloir l’assassiner, le croyant leur ennemi. Je vous propose...mais soyons francs : si Don Gennaro réussit, vous savez qu’il se débarrassera de vous.
Salvatore, songeur _ Oui, j’ai peut-être été trop dur avec lui...mais Firmino...
Ilitch _ Firmino est sans le sou ; ce ne sont pas les gens honnêtes, qui réussissent. Il ne pourra pas vous prendre à sa charge. D’ailleurs, il est trop tard pour faire du sentiment : venez avec moi...la patrie soviétique, héritière des valeurs de Clémenceau et de Daladier, se fera un honneur de vous accueillir.
Salvatore, se levant ; il parait rajeuni _ L’affaire est claire : en avant toute, camarade !
Ilitch _ Bravo ! C’est comme cela que je vous veux ! Courons à l’aéroport, un taxi nous attend pour nous y conduire.
L’espion russe, bien amoché, hagard, rentre en scène brandissant son revolver
Espion soviétique _ Ah, vous, traître ! (Il sort un pistolet de sa poche) Vous aller mourir ! (Il tire un premier coup, Marcel se jette sous le bar) Tonnerre ! Le barman aussi va y passer ! Pas de témoins !
Ilitch _ Imbécile ! En pleine rue !
Marcel _ Au secours ! Maman !
Espion soviétique _ On s’en fiche ! (Nouveau coup de pistolet raté) Avancez, Ivan Ivanovitch ! Cessez de fuir comme un lâche ! Votre mort est irrévocable.
Scipion, qui n’a pas bougé depuis le début _ Oh, le soviet ! Ce n’est pas fini, de faire joujou avec ce pistolet ! Vous allez blesser quelqu’un !
Marcel, qui a rampé jusqu’à une sortie _ Tenez bon ! Je cours appeler le commissaire !
Exit Marcel
Espion soviétique _ Ivan Ivanovitch, je vous tiens en joue ! Plus un geste !
Ilitch _ Salvatore, à moi !
Salvatore, se jetant sur l’espion _ Ah ah ! Je te tiens, damné bolchevique ! (il l’assomme)
Ilitch _ Par la barbe de Belzébuth ! La police ne va pas tarder à arriver...quel imbécile, ce Grigori Fedorovitch ! Venez, nous allons le dissimuler derrière le comptoir...voilà, c’est fait. Sortons en vitesse...sans oublier la malle. Exit !
Ils sortent
Scipion _ Je l’ai bien dit qu’il allait se blesser...quel gamin ! Je crois qu’une balle m’a effleuré...
Scène 4
Un temps ; Don Gennaro, Herr Doktor, Louis et Marius arrivent
Louis, à Marius _ Evaporé...
Marius, même jeu _ Dissolufié, quoi...pas moyen de mettre le grappin sur lui.
Louis, chargeant son pistolet _ Pas le grappin, le projectile...
Don Gennaro _ Hé ! Fait attention ! C’est dangereux, ces trucs, là...té ! Mais il n’y a âme qui vive ?
H.D _ Quel désordre ! Marcel, ô Marcel ! Où es-tu ?
Don Gennaro _ Mais enfin, c’est quand même étrange qu’il ait disparu comme ça...
Scipion _ Il a décampé.
H.D _ Suzanne ! Achtung, kleine Fräulein ! Au rapport !
Scipion _ Elle est partie. (Il fait tomber son verre) Zut ! (Il se penche pour le ramasser, s’écroule)
Marius _ C’était le pastis de trop.
Louis _ La goutte qui met le feu aux poudres.
Don Gennaro _ C’est bon mettez-la un peu en veilleuse...la quantité de sottises à la seconde que vous débitez est impressionnante. C’est naturel ou vous prenez des cours du soir ?
Louis, rougissant _ Oh, vous savez, rien n’est dû à notre travail, et puis nous avons d’autres choses à faire, le soir...c’est un don naturel...mais vous nous faites trop de compliments, patron.
Passe Fanfalon
Fanfalon _ Salut, mes gaillards ! Il n’est pas là, Marcel ?
H.D _ Nein, parti, parait-il.
Fanfalon _ Flûte, c’est l’heure de notre partie d’écarté...j’ai inventé un de ces escamotages, que ça va le faire sauter jusqu’à la lune de surprise.
Marius _ Ö Fanfalon ! Tu nous apprendras ?
Fanfalon _ Non, c’est privé.
Louis _ Allons, soit gentil...
Don Gennaro _ Dis, Fanfalon, toi qui est capitaine...tu ne nous ferais pas une commission ?
Fanfalon _ Evidemment ! Un capitaine de bateau sait tout faire. Passez-moi le colis... (Il saisit précautionneusement la valise) Peuchère ! C’est lourd ! Qu’est-ce que vous y avez mis, votre argenterie ?
Don Gennaro _ Pas tout à fait ! Allez, Fanfalon, vas-y...emmène ça au crédit agricole, et mets-le sur notre compte. On te payera un coup à boire au retour.
Fanfalon _ Ah haha ! J’y cours, ou plutôt : j’y vole !
Il sort en courant
H.D _ Quel bobet...cela fait du bien de se débarrasser d’un tel poids, mais une sorte de gêne pèse sur moi...Don Gennaro, il sera bientôt temps de nous dire adieu.
Don Gennaro, sombre _ Je l’avais dit. Celle-ci doit être notre dernier coup. Après, on prend une longue retraite, bien méritée...nous avons travaillé dur, les gars. Chacun d’entre nous a le droit de terminer sa carrière...pour ma part, je me sens trop vieux. Il est fini, le temps des cambriolages et des braquages de banques héroïques, le temps des assauts contre les convois allemands...la guerre a donné naissance à notre aventure, comme elle en a brisées nombre d’autres.
H.D _ La guerre...plus rien ne sera comme avant ; trop de haine s’est déchainé pendant ces cinq années, trop d’univers ont été détruits. Oui, cette guerre, la guerre contre Hitler, a révélé des penchants bestiaux de l’humanité qui avaient été bien loin de se dévoiler pendant la Grande Guerre, et je crains que jamais le spectre immonde évoqué par les nazis ne puisse s’assoupir et nous accorder un moment de répit, à nous qui nous trompâmes. Vous rendez-vous compte ? Nous vivons dans un nouveau monde, un monde dur et mécanique, le monde des génocides, des machines, de Staline et d’Hitler.
Don Gennaro _ Quelque chose se presse et crie en moi lorsque je pense au temps béni de l’après-guerre, quand sur les décombres fumants de l’Europe ravagées nous croyons pouvoir bâtir un nouvel édifice, stable, bon...le rêve de la S.D.N. est terminé comme toute chose en ce monde : in cauda piscem.
Louis _ Chef...il est l’heure de boire le coup du départ.
Don Gennaro _ Allez, mon brave Louis, et toi, Marius, égayez deux vieux ronchons...vous êtes jeunes encore, et ne pouvez comprendre nos bavardages...eh oui, la cinquantaine approche rapidement pour moi comme pour toi, Doktor...vois-tu, nous arrivons à cet âge où la vie, c’est des souvenirs, et l’amour, des lettres jaunies...oui, je le sens venir, ce noir crépuscule prélude au grand vide...
H.D _ Pour malheureuse et aveugle que soit la jeunesse, je ne la plains pas...même ce pauvre Julien, si niais, si innocent, je me surprends à le jalouser...
Don Gennaro _ Car tu sais, camarade, que sa vie est une grande page vierge...mais ne t’inquiètes pas, son avenir n’est nullement enviable : il s’évanouira dans la nuit comme l’on fait tant d’autres avant lui.
H.D _ J’ai d’ailleurs une autre chose, bien plus grave, à te dire à son propos...
Marius _ Dis, patron...
Louis _ On n’a pas raconté l’histoire du whisky-soda...
H.D _ C’est vrai...
Une voix _ Ils sont là !
Une autre _ Attention, parait qu’il y en a un armé !
H.D _ C’est Fernand, il a attrapé un petit malfrat...
Don Gennaro _ De la petite envergure ! Nous fûmes grands, mais le déclin est inexorable...
Fernand, Marcel, Sean et des policiers rentrent en scène ; ils cernent le groupe
Sean _ Terroristes ! Terroristes ! Brigades rouges !
Louis _ Qu’est-ce qu’il nous veut ?
Fernand _ Dynamiteurs ! Sacré bon sang de bon soir ! Vous en avez au moins pour dix bonnes années au frais, mes gaillards !
H.D _ Je ne vous permettrai pas certaines familiarités, bobet d’un inspecteur !
Sean _ Il ne vous servira à rien de faire semblant de ne pas comprendre. Ah ! Ça va faire du bruit !
Marcel, surexcité, trépignant _ Et ça en a déjà fait, sacrebleu ! Boum, ka boum, patatras ! Tout a été volatilisé, démolistructionné, désintégrillé !
Don Gennaro, aparté _ Je sens que Saint-Tropez, ce n’est pas pour demain...
Sean _ Une bombe au Crédit Agricole ! Efficace, mais peu discret !
Marius _ Waouh ! Qu’est-ce qu’il a du être réussi, le feu d’artifice !
Fernand _ Ah, quel gamin ! Sachez qu’il y a eu trois blessés. Cela vous parait toujours aussi drôle ?
H.D _ Ce ne sont pas habituellement nos méthodes...
Sean _ Vous n’auriez pas dû les changer. Avez-vous idée des frais d’hôpital, du risque qu’ont couru ces personnes d’être tuées ? Voilà bien les mafiosi, gangrène des terres méditerranéennes...tous des assassins en puissance, sans le cœur !
Don Gennaro _ Ils n’avaient qu’à ne pas être là. Dommages collatéraux.
Marcel _ Heureusement que je les surveillais !
H.D _ Sale traître ! Dummkopf ! Judas, fasciste !
Marcel _ Tout doux, l’ami, maintenant c’est moi le plus fort... (Bas, pour les bandits) vous ne sortirez jamais de votre cachot humide...adieu, les mafieux – ça rime !
Don Gennaro _ Non, non, assez ! Cessez de jouer au poète, je vais en devenir fou ! Vite, emmenez-nous loin de ce psychopathe !
Marius _ Oui, Marcel, ferme-la !
Louis _ La ferme, Marcel, oui !
Fernand, aux policiers _ Emmenez-les au poste sous bonne garde.
Un policier _ Il y a quelqu’un sous le comptoir !
Fernand _ Emmenez-le aussi... (Ils sortent) et bien, monsieur Sans, ce fut un plaisir de travail avec une personne compétente comme vous, bien que je regrette qu’il nous a fallu nous départir de votre camarade Ilitch...mon devoir m’appelle : adieu !
Il sort à la suite des policiers
Marcel _ Voilà, voilà, tout est bien qui finit bien...les méchants vont sous les verrous, les gentils récupèrent leurs possessions...dites, je vous enverrai la facture pour tout le désordre que vous m’avez mis. Allons, de par ma chandelle verte ! Monsieur Séant, je vous raccompagne à la gare.
Sean _ Ah, non, stop ! Deux heures à me faire appeler Séant, Sans, Chon, c’en est trop ! Mon nom se prononce « Schon », et il est d’origine irlandaise, un point c’est tout !
Marcel _ Mais oui, monsieur Sans, mais oui...allons, dépêchons-nous, le train n’attend pas. Et vous n’oublierez pas pour la facture, eh, car sinon je ne pourrais pas payer le garçon...
Ils sortent, Marcel aux anges, Sean abattu ; Fanfalon rentre
Fanfalon _ Vé, sales escrocs ! Regardez-moi ça ce désordre qu’ils ont mis partout, les fadas ! Et ils décampent sans me payer un verre...peuchère, c’est que j’aurais bien pris un pastis !
Il sort ; Scipion se redresse, se gratte la tête comme Stan Laurel ; puis il se redresse, s’étire avec des grimaces de douleur, plaque ses mains contre ses reins et fixe la terrasse chamboulée. Il se laisse retomber au sol, en tailleur ; puis, s’agrippant au comptoir, il se relève et sort en boitillant
Scène 5
Julien et Suzanne rentrent en scène, chacun d’un côté ; ils progresseront au fur et à mesure jusqu’à être l’un devant l’autre à « Julien ? Vous êtes là... ». Auparavant, ils jouent comme s’ils ignoraient qu’ils étaient ensemble
L’angliche _ Voyons, sont-ils...Gennaro ! Werner ! Personne pour me répondre ? Louis, Marius ! Non, trop tard. J’ai failli à ma mission. Hélas ! Il était trop tard quand j’ai déjoué le plan de Fernand...que n’ai-je eu des soupçons, voyant tous les policiers amassés près du commissariat ! Oui, à présent l’intrigue vaudevillesque est claire : Marcel nous a trahis...pourquoi, pourquoi donc n’ai-je pas compris dès la disparition d’Ilitch et Salvatore, ou bien quand j’ai croisé le cow-boy, tout à l’heure ? Mais cela va peut-être plus loin, bien plus loin, et ici mon inconcevable bêtise, ma coupable naïveté apparaissent en tout leur hideur...
Suzanne _ Plus personne...nul part...la maison des jumeaux et de Julien est vide. L’on ne se sentirait pas plus abandonné si une quelque météore nous avait arrachés de ce monde...les jours s’en vont je demeure...oh, un verre est tombé... (Elle le ramasse, le tiens devant ses yeux, l’air rêveur) seule une goutte pend encore sur son rebord...elle fait comme un ovale translucide aux reflets opalescents et aux formes changeantes...donc ce n’est pas un ovale. Maintenant si. Plus maintenant. Sommes-nous comme cette goutte en suspension ? Ou plutôt, ne sommes-nous pas comme ces gouttes de buée qui se forment sur les fenêtres l’hiver, et qui roulent et se croisent et grossissent, vivant de continuels changements, une seconde nacrés, puis gris, puis couleur de l’ivoire jaunissante...jusqu’à ce que l’on tombe, et que l’on s’écrase dans un néant étourdissant – au sol.
Julien _ Evidemment, porté par mon esprit égoïste, tourné vers mon seul bonheur, inconscient, du fait de ces puissantes envies, de scandales et quiproquos ne pouvant retomber que sur les autres, j’ai crû pouvoir obtenir l’amour de Suzanne...erreur, grossière erreur ! Soit elle était du côté de Fernand, et dans ce cas elle me haït depuis le début – hier, seulement ! Soit elle n’était mêlée en rien dans cette affaire, et les conséquences de mon échec en tant qu’informateur du groupe l’entraineront dans d’inimaginables complications ; dans ce cas, à nouveau, une fâcheuse conclusion s’impose : elle me haït à présent. A quoi bon continuer, dans ce cas, à me traîner ici-bas, accablé jusqu’à un impossible oubli du joug de sa haine ?
Suzanne _ ...et quelqu’un peut-être nous tiens entre ses mains et rit, mi-amusé, mi-commisératif, contemplant l’aérienne mesquinerie de nos esprits et la beauté fragile de nos corps...suis-je belle, encore ? Pour combien de temps ?...Les jours s’en vont je demeure...la jeunesse se fane et dépérit aussi rapide qu’une rose brunissant et perdant ses pétales jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un bouton vert et stérile...Julien ? Vous êtes là...je vous croyais parti.
L’angliche _ Bientôt, cela sera fait. Suzanne, je présume que toute animosité serait inutile entre nous, en ce moment...
Suzanne _ Bien. Je ne saisis pas la raison d’être de votre remarque, mais nous allons faire « comme si ».
L’angliche _ Comme si...comme si nous étions encore des enfants et nous pouvions bavarder sans tenir compte du fait que je suis un homme et vous êtes une femme...
Suzanne _ Ne parler pas en amoureux, mais en camarades.
L’angliche _ Je n’ai plus rien à faire ici.
Suzanne _ Moi non plus. Je m’en vais à Paris.
L’angliche - Paris sera toujours Paris...
Suzanne _ Vos valises sont-elles prêtes ? Nous pourrions demander à Louis et Marius de les descendre. Ce sont de braves garçons.
L’angliche _ Oh...je ne crois pas qu’ils pourront.
Suzanne _ Pourquoi donc ?
L’angliche _ Comme ça, comme ça...je divague.
Le suivant dialogue, jusqu’à « notre destin », sera joué par les deux acteurs d’un air rêveur, comme s’ils ne voyaient plus le bar mais étaient en train de réciter des bribes de poésie sur une scène ; ils ne font pas attention l’un à l’autre, comme avant, et ont le regard perdu, fixé sur un point imaginaire derrière les spectateurs
Suzanne _ Vague, vague, dis vague...flux et reflux...
L’angliche _ Cheveux au vent, baisers volés, honneur fané, désirs mouvants...
Suzanne _ La confusion des sentiments...en devenir amok...les jours s’en vont je demeure...
L’angliche _ Que reste-t-il de nos amours...ah, quelle lourde moiteur dans l’air et dans mon cœur...
Suzanne _ Ah, se laisser aller, balloté, au flot tumultueux des désirs...écouter les spasmes sanguins de plaisirs charnels idéalisés...
L’angliche _ Des parfums doux et pénétrants, des épaules pâles et lisses, robes blanches flottantes, une idée de la femme ; crevons s’il le faut, misérables, dans la boue, mais frappons le néant lascif des passions...
Suzanne _ Tant de sentiments nouveaux nous hantent, tant de désillusions nous guettent, aimer ne recèle-t-il que tourment ? Est-ce le bonheur plat, la joie banale de la vie conjugale, notre destin ?
L’angliche _ Ah, Suzanne...
Suzanne _ Vous m’appelez ?
L’angliche _ Oui...dites, mais haïssez-vous ?
Suzanne _ Je devrais ?
L’angliche _ Et bien...n’avez- vous jamais eu l’impression d’un trop plein, mettons, de sentiments divergents dans votre cœur ? Un surplus, un débordement, une crue subite de l’eau claire de l’âme ?
Suzanne _ Non, pas vraiment, mais je crois saisir le concept. Et c’est auprès de moi que vous comptez épancher votre cœur ?
L’angliche _ Que je compte ? Non...ce n’est pas voulu...mais restez attentive, écoutez, si vous devez me prendre pour fou, tant pis, il me suffit que tout cela soit vidé, mis au jour enfin...car voici, ce que j’éprouve pour vous...veuillez m’en croire, c’est plus que de l’amour c’est quelque chose, et ce quelque chose c’est mille fois plus et mille fois pire et mille fois plus exaltant, mais aussi pire, bien pire disais-je que l’amour, et je n’en connais pas le nom...oh, je sais que je suis fou, fou, incongru, et comment vous expliquer que c’est bien plus, plus, plus...je m’embrouille, je ne sais plus, j’avais de si belles phrases...alors non, autrement cela ne peut se faire, écoutez-moi, écoutez-moi bien, et croyez je vous en prie que je vous aime, vous adore, j’ai peut-être aussi perdu la raison mais je m’en fiche de la retrouver car il ne me reste plus enfin que l’absurde des passions, et alors sous ce déluge et cette logorrhée verbale pâteuse pataude de joie et d’espoir et beaucoup de peur, peur, cette chaîne froide dans l’abdomen qui se contracte et exaspère le cœur qui boum ! Sais plus, plus rien...alors voyez que le nigaud que je suis le bête idéaliste incapable de jouer au don juan se perd ainsi et rame dans le vide tentant de se séparer de cet amour contraignant qui l’a déjà saisi à un point où se libérer c’est se tuer...c’est fini, vidé, alors terminons...débarrassons-nous de la dernière goutte irisée pendant au goulot de mon âme...je t’aime. Voilà. Fin de l’histoire.
Suzanne _ Calmez-vous et respirez, là, comme ça...tranquille. Vous paraissez un enfant que l’on aurait grondé. Asseyez-vous.
L’angliche _ Vous aussi. Vous êtes toute pale.
Suzanne _ Mais Julien, êtes-vous seulement conscient que c’est mal, très mal ce que vous me dites ? Peut-être ne vous aimé-je point. Peut-être suis-je amoureuse d’un autre homme. Ou alors je vous trouve efflanqué, ridicule, verbeux, et je suis fatigué comme le sont tous de la longue argumentation qui est sortie – qui sait ! – de votre cœur, et je considère que tout amour est une vétille. Ou bien pensé-je que vous vous moquez de moi et voulez ma perte...
L’angliche _ Notre perte. Cela ne vous a pas frappé, mais j’ai d’immenses capacités de haine et d’égoïsme. Ce que je veux, c’est nous détruire, nous flétrir, mettre à nu ce qu’il y a de plus humain en nous tout en sachant que la mort viendra ensuite.
Suzanne _ Vous nourrissez donc une passion perverse, maligne, une noire tumeur nous vouant à la fin, à la destruction ; car vous ne connaissez pas, vous, l’Amour. Le connaissez-vous ?
L’angliche _ Non. Sauriez-vous me le conter ?
Suzanne : Voyez, ils étaient deux, découverts, se découvrant, inconnus d’eux-mêmes auparavant et soudain révélés par l’union de leurs lèvres et de leurs corps et les battements de leurs cœurs et leurs âmes confondues dans un pressement charnel. Ils étaient deux, deux, nombre magique, Ils étaient deux et se savaient ridicules...
L’angliche _ ...et vils, aussi, mais surtout purs, si purs et si proches, effleurant un divin refluant comme leurs corps et comme les vagues sur la grève...Ils savaient que l’Amour, leur Amour, leur folle passion leur tourment était là...
Suzanne _ Il était là car ils étaient jeunes, ils étaient frais, ils avaient trente-deux dents blanches et sagement rangées, écolières en rang avant la leçon, et un sang de velours faisait vibrer d’extase leurs veines. La nuit le rossignol, au-delà de la fenêtre, agrémentait leurs ébats de trilles imbéciles ; et puis se levant le matin ils frissonnaient de fatigue et de froid et de plaisir encore, et ils s’évitaient pensant aux cernes creusant leur visage défait...
L’angliche _ Comment finirent-ils ? La question semble vaine...
Suzanne _ Déjà froid du poison meurtrissant leur corps et glaçant la chaude tiédeur de leur cœur ils moururent enlacés dans un dernier regain d’amour...
L’angliche _ Car l’amour était mort, entre-temps.
Suzanne _ Non, il avait faibli, vacillé, tout comme le font les cierges lorsqu’une brise fraîche s’insinue dans l’église et remue les senteurs d’encens...vous plairait-il que ce soit votre destin ?
L’angliche _ C’est mon destin.
Suzanne _ Notre destin. La mort, l’absurde...
L’angliche _ Et l’amour...
Rideaux.
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trotsky
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MessageSujet: Re: Le Projet   Le Projet Icon_minitimeMer 13 Juin - 17:56

Acte IV
Séquence vidéo. Des images défilent : la guerre d’Algérie ; la mort de Staline ; de Gaulle au pouvoir ; déstalinisation ; une voix off parle :
« Les années passent, le contexte ne change pas. Alors que les fantômes de la Deuxième Guerre s’éloignent, et que la hantise d’un nouvel affrontement mondial s’estompe avec la mort de Staline, la France entre dans un tournant tragique et décisif de son histoire : la quatrième République, incapable de gérer la crise coloniale, cède lors de la crise algérienne, victime de ses multiples disfonctionnements comme la troisième le fut de Pétain. Les horreurs se succèdent, pendant cette « sale guerre » : Algériens et Français n’hésitent pas à torturer, piller, tuer, un million de pieds noirs, des Français, sont menacées par les nombreux attentats, de même que nombre d’Algériens sont sous la menace d’une intervention de l’armée – « la valise ou le cercueil », clame le FLN...nous sommes au bord de la guerre civile quand Coty démissionne. De Gaulle est rappelé au pouvoir, et sors de sa « traversée du désert »...au cours d’un énorme meeting, à Alger, il lance ces mots ambigus : « Français, je vous ai compris ! » L’Histoire nous dira lesquels il avait compris...dix ans ont passé de la sorte, nous sommes en 1960. La peine de prison de Gennaro vient à son terme ; Ilitch, proche du maréchal Staline, est contraint de s’exiler par Kroutchev ; Salvatore, bien vite conscient d’avoir été dupe, est en cavale quelque part en Asie Centrale ; poursuivis par leur sort inévitable, Suzanne et Julien errent par l’Europe, amoureux fous, terminant rapidement toutes leurs économies ; pour Marcel, rien n’a changé... »
Scène 1
Les rideaux s’ouvrent. Le bar, aux environs de 12 heures. Soleil tapant. Marcel est au comptoir, faisant la sieste ; Fanfalon s’acharne à construire un château de cartes : Fernand boit un whisky ; Sean, au fond, est caché par un journal – il ne faut pas qu’on le reconnaisse. Un tourne-disque trône au milieu de la terrasse. Sur le mur sont dessinés à la craie une croix de Lorraine, un sigle OAS, un « vive de Gaulle » raturé. Marcel se réveille.
Marcel _ Peuchère, qu’est-ce qu’il fait chaud ! Je me boirais bien un verre, pas vous ? Allons, un américano avec les glaçons.
Scipion _ Ça ne serait pas de refus.
Marcel _ Voilà pour toi. Y a-t-il d’autres amateurs ? Ma gidouille, c’est le soleil qui vous a assommés ou vous dormez ?
Fernand _ Tiens, verses moi un pastis.
Fanfalon _ Silence, ce n’est pas évident, ça !
Marcel _ Dites donc, ça barde à Alger...vous avez vu tous ces attentats ? Pourtant il y a le général qu’est de retour...hier, un groupe de fêtards revenus de là-bas à voulu mettre le feu au bar. Ils disaient que j’étais un espion. Ils m’ont mis un de ces désordres...pour un peu, j’appelais le commissariat.
Fernand _ Et votre terroriste ?
Marcel _ Ne m’en parlez pas ! Ça me donne des sœurs froides, rien qu’à y penser. Enfin, je voulais parler de sueurs froides ; il n’est pas revenu depuis une semaine, lui, mais...
Le marchand de tapis, hors scène, accent levantin _ Tapis ! Tapis !
Marcel _ Cornegidouille ! Inspecteur, le voilà !
Fernand _ Apprenez pour votre gouverne que j’ai été promu gouverneur en chef. Nous allons voir s’il est si dangereux...
Le marchand _ Tapis ! Pas chers, mes tapis ! (Il rentre en scène, porteur d’un lourd tapis persan) Beau, très beau tapis ! Pas cher, cinquante francs !
Marcel _ Oui, mon brave... (À Scipion) si je ne le paye pas, il serait capable de faire exploser le bar...et s’il y avait une bombe dans le tapis ? Vous connaissez les méthodes du FLN...
Scipion _ Tous les levantins ne sont pas algériens, de même que tous les algériens ne sont pas des terroristes.
Le marchand _ Quarante francs ?
Sean, baissant le journal _ Je vous le prends pour cinquante, l’ami.
Le marchand _ Ah ! Bonne affaire, sidi. Avez-vous besoin porteur ? Tapis très lourd, sidi.
Sean, se levant et lui tendant l’argent _ Aucun besoin, bornez-vous à le poser comme il faut là par terre...bien...bravo, je vous remercie. Cela donne un côté oriental à ce bon vieux bar. Ne regardez pas le barman, c’est moi qui fais un cadeau à ce fou.
Le marchand _ Le poète dit que la folie est l’apanage du simple d’esprit comme du page, sidi. Qu’Allah vous remercie de votre présence d’esprit : je fais bonne affaire, et vous avez bon tapis.
Il sort
Marcel _ Sacrebleu ! Mais vous êtes...
Fernand _ Vous, monsieur ? Je ne peux en croire mes yeux !
Sean _ Savez-vous que depuis six ans, jour pour jour, je suis en mission ici, car vous êtes suspectés d’avoir des liens avec l’OAS ? Vous avez entendu de Gaulle : pas de pitié pour ce pitoyable « quarteron de généraux en retraite ». Pour un peu, avec votre paranoïa maladive, monsieur Marcel, vous auriez fait arrêter ce brave négociant.
Marcel _ Il avait l’air drôlement dangereux ! Et s’il y avait eu une bombe dans le tapis ? On ne pouvait pas savoir !
Sean _ Taisez-vous. Force m’est de constater une chose : vous êtes, décidemment, un nigaud.
Fernand _ Mais enfin, ne croyez-vous pas d’être peu objectif ? Marcel a beaucoup de qualités.
Scipion _ Ah oui ? Et pourrait-on savoir où est Suzanne ?
Marcel _ J’ai reçu il y a quelques jours une carte de Londres...
Sean _ Tiens ? Je suis désolé, mais votre courrier et surveillé. Vous avez reçu une carte de Rome il y a quatre ans, une de Venise il y a trois ans et six mois, une de Vienne il y a deux ans, une de Berlin-ouest l’an passé...la carte postale dont vous parlez date d’il y a neuf mois.
Marcel _ Saleté de policier ! SS, Gestapo !
Fernand _ Je n’ai jamais été informé...
Sean _ Oui, braves naïfs ! Ne savez vous pas - je me reprends, pardon. Vous ne savez pas que la situation frôle la guerre civile. L’armée est sur le pied de guerre, il nous faut pratiquer des écoutes téléphoniques, traquer les déserteurs...la France traverse l’une de ces noires périodes marquant son histoire. Nombreux seront les rêves qui disparaitront ou naitront... C’est une guerre qui est en cours, commissaire. Ne l’oubliez pas.
Fernand _ Ah ça ! Je ne risque pas ...mais cela m’intrigue. Suivez moi à la maison...Je veux des nouvelles sûres.
Sean _ J’aimerais pouvoir vous renseigner, mais je n’en ai pas le droit...au revoir.
Il sort
Fernand _ Mais, attendez un peu, pardi
Il sort à sa suite
Marcel _ Drôle d’affaire... ce brave Sans aurait put être plus agréable.
Scipion _ Ca se prononce « Schon ».
Marcel _ C’est bon, je sais...saleté de guerre ! On s’ennuie, ici. Tout le monde est ailleurs, ou inquiet...
Scipion _ Damné soit l’ennui...buvons un verre : cela distrait. Quand je suis ivre, j’oublie que je suis triste.
Marcel _ Elle te manque tant de ça, Suzanne ?
Scipion _ Ferme ta grande bouche.
Marcel _ Tu étais amoureux d’elle ?
Scipion _ Qu’est ce que ça peut bien te ficher, vé, guignol ? J’ai le droit non ? Je sais, je suis bien trop vieux, mais...
Marcel _ Tu es un drôle de gars, pardi, mon Scipion. Je trouve pourtant que tu cause plus depuis qu’elle n’est plus là.
Scipion _ Zut ! Tu m’ennuies !
Il sort
Marcel _ Mais qu’est ce qu’ils ont tous à être de si mauvaise humeur ?
Fanfalon _ C’est parce qu’il fait trop chaud.
Marcel _ Peut-être...quelle heure est-il ?
Fanfalon _ Vé fada ! Tu as une horloge là-dessus !
Marcel _ Oh, Cornegidouille ! C’est vrai ! J’oubliais. Dis, où est ce fichu garçon ? Je ne le paye pas pour qu’il lambine sur les quais. Je l’ai envoyé me chercher de quoi faire une bouillabaisse il y a une heure, et il n’est pas encore rentré...
Fanfalon _ Il est amoureux de la poissonnière.
Marcel _ Malheur ! Enfer et damnation ! Qu’est-ce qu’ont donc les amoureux, à vouloir tous nous faire des ennuis ? Capitaine, il faut vite aller le chercher, avant que cette petite intrigante ne me le souffle à mon nez et à ma barbe !
Fanfalon _ Tu n’as pas de barbe.
Marcel _ C’est une locuste de la langue française.
Fanfalon _ Dans tous les cas, tu n’as qu’à en prendre un autre, de garçon !
Marcel _ C’est le seul hurluberlu du pays qui ait accepté.
Fanfalon _ Pardi ! Et s’il ne revient pas ?
Marcel _ bon sang de bon soir de ma sacrée chandelle ! Mais il faudra fermer, alors, copain Fanfalon !
Fanfalon _ Vite : je vais te le ramener. Peste soit des rascasses et des poissonnières ! En plus, elle sent mauvais, cette fille là. (Il sort)
Marcel _ Sacrebleu...me voilà seul. Qu’est-ce qu’on s’ennuie ! Il ne dit plus que des bêtises, Scipion. Il faut que je fasse quelque chose d’amusant...je pourrais renouveler le graffiti « vives Alger libre » sur la porte de Firmino...s’il m’attrape, je vais en souper, mais en attendant ça fait bien rigoler tout le monde.
Entre Firmino
Firmino _ Vous riez tout seul, Marcel ?
Marcel _ Oh, non, je n’aime pas les soles en loques.
Firmino _ J’avoue que les soliloques, ça fait de drôles de fritures, barman...mais vous risquez d’avoir d’autres problèmes plus pressants. Quelque chose de très mauvais s’apprête à tomber sur vous, mon cher.
Marcel _ Vous délirez, Firmino !
On entend chanter "Ober Deutschland“ hors scène ; la voix se rapproche
Firmino _ C’est une affaire très, très mauvaise...pour vous.
Marcel _ Ma gidouille, Firmino, vous êtes privé de mirabelle. Plus de liqueurs tant que vous essaierez de m’intimider de si belle façon.
Herr Doktor, Don Gennaro, Louis et Marius rentrent, conquérants, sur la terrasse
H.D _ Hein, zwei, drei ! Nous vous tenons, traître !
Don Gennaro _ Surprise ! Surprise ! Alors, Marcel, tu ne t’y attendais pas ? Eh oui...tu aurais dû assister à la fin du procès...nous avons été condamnés à dix ans, pas plus, pas moins, de prison...alors maintenant que nous sommes dehors, il nous a semblé logique de venir te rendre visite...
H.D _ Ja, la moindre des choses étant de vous saluer...
Marcel, s’agenouillant : Ne me tuez pas, par pitié !
H.D _ Et qui parle de te tuer ? A la limité nous allons t’abimer, oh ! Rien qu’un tout petit peu...
Louis, tournant autour du tourne-disque _ Waouh ! Qu’est-ce que c’est, ce monstre ?
Marius _ Un tourne-disque ! Qu’est-ce qu’il y a, au programme ?
Il met un disque, du jazz ; on entend Armstrong : « C’est si bon »...après que le tourne-disque ait été éteint, Marius reprendra de temps en temps l’air du pont sur la rivière Kwai en sifflotant, jusqu’à se faire réprimander par les autres
H.D _ Bien dit ! Bien dit ! Mais éteignez-moi ça. Il faut que Marcel se concentre.
Don Gennaro _ Nous t’avons rapporté un petit présent, Marcel…de telles retrouvailles, ça se fête. Je savais que tu serais enthousiaste de nous revoir. Au fond, tu es un brave homme…
Marcel _ Oh, oui, oui, ça pour être une brave personne j’en suis une.
Don Gennaro _ Mais ça, s’est au fond…par-dessus toutes tes qualités, il y a une telle quantité de fiel et de fourberie…il faudrait réellement purger toutes ces vilaines choses, pas vrai Firmino ?
Firmino _ Ça lui apprendra peut-être que « vive » s’écrit v-i-v-e.
Marcel _ Sans « s » à la fin ?
H.D _ Sans « s », en effet. Marcel, envoyez une tournée générale, et pas de plaisanteries, je vous en prie, ou il vous en coutera ! Du whisky-soda pour tout le monde. Et mets aussi quelques gâteaux pour agrémenter ces festoiements : quand même, c’est un beau cadeau que tu t’apprêtes à recevoir…je ne suis pas contre des scones aux amandes, ou bien des éclairs au chocolat. Pour Don Gennaro, ce sera une religieuse. Et un baba au rhum pour Firmino.
Marcel, à part _ Ils se croient où, à la boulangerie ?
Marius _ Vé, ce sera un…bon cadeau.
Louis _ Très…propre, sain, lavant…
Don Gennaro _ Cessez donc, les jumeaux, vous aller gâcher la surprise. Bien, je crois que tout est prêt…mais il y a un verre en trop, Marcel. Je vais le vider moi-même (il boit). Nous avons voulu t’apporter un petit apéritif, que tu devrais goûter tout de suite pour nous donner ton avis… (Il sort une grande bouteille d’un sac que lui tend Marius, remplit le verre) tiens, bois ça ; c’est bon pour ta santé, m’a dit le médecin.
Marcel : On dirait de l’huile de ricin… (Tous hochent la tête) quoi ! Jamais je ne boirais… (Louis et Marius pointent leurs pistolets sur lui) sacrebleu ! Té, je bois, mais sous la menace des baïonnettes, comme le disait Mirabelle…Dindon…enfin, un gars de la Révolution. Je me vengerais, Don Gennaro !
Firmino _ Ne parlez pas tant, et buvez.
H.D _ C’est bien, s’il parle ; comme ça, il aura soif.
Firmino _ Allons, Marcel, prenez votre petite purge ; c’est pour votre bien, et vous savez combien nous portons à cœur vos intérêts.
Marcel, buvant _ Peuchère, c’est infect ! Ah, je vous retiens ! Ma vengeance sera terrible !
Il rentre dans le bar, se tenant le ventre à pleines mains, grimaçant. Les autres ricanent méchamment
Scène 2
Don Gennaro _ Ce parjure n’a que ce qu’il se méritait.
Firmino _ Mis à part ça, vous devez être contents de vous retrouver.
H.D _ Eh ! Après dix ans passés à escroquer nos geôlier chacun dans son coin…car ces malins avaient compris qu’il valait mieux ne pas nous mettre dans les mêmes cellules, ni d’ailleurs dans les mêmes prisons. Nous ne nous sommes croisés qu’une fois, à la Santé, et encore, lorsque j’ai hélé Gennaro les gardiens ont pensé que je faisais le salut hitlérien : « Hé, Louis ! ». Quels bobets ! Mein Gott, la vengeance du vieil Antonio, une vengeance à retardement, fut longue et pénible.
Don Gennaro _ Je parie qu’il savait que nous réussirions à lui voler l’argent, et qu’il avait déjà tout calculé : la trahison de Marcel, l’arrivé des Renseignements Généraux…et que de changements survenus pendant notre bénéfique cure de santé au cachot ! Je me souviens qu’étant lycéen, il y avait une grande carte du monde accrochée au fond de la classe. Nos colonies étaient d’un beau rose foncé, et la France en rouge magenta avait des allures de centre du monde.
H.D _ Gallia caput mundis…
Don Gennaro _ Voilà le mot: kaput! Que nous reste-t-il de l’empire ? Des queues de cerise…la France, pendant ces dix années, s’est rétrécie comme peau de chagrin : d’abord ce fut l’Annam lointain, puis la Centrafrique, et maintenant, après la Tunisie et le Maroc, c’est Alger qui nous quitte…
Louis _ Hé, dis, patron, tu sais, l’histoire du whisky-soda…
Marius _ Tu ne lui l’as pas encore raconté, au Doktor…
Don Gennaro _ La belle affaire ! Mais c’est vrai ! Alors, reprenons au commencement…
Fernand rentre en scène, en bras de chemise, agitant un éventail
Fernand _ Sacré Sans, qu’est-ce qu’il m’a rabroué…autant venir prendre un verre… Quoi ! Vous ici, malandrins !
Marius _ Vé Fernand !
Louis _ Ce bon vieux policier hargneux ! Viens te prendre un coup à boire, c’est nous qui servons !
H.D _ Pour un peu, vous nous auriez manqué, Tarteifle !
Fernand, à part _ Doux Jésus, ils sont de retour…
Don Gennaro _ Martini ? Gin ? Whisky ?
Fernand _ Non, Non, je ne faisais que passer…merci quand même…mais on m’attend, le travail, vous comprenez ?
H.D _ Ah, là vous êtes en civil, alors ? Qui espionnez-vous ?
Don Gennaro _ appelez-nous au cas où il vous faudrait un coup de main…le séjour en prison que vous nous avez gracieusement offert nous a convertis.
Louis _ Je dirais même plus : il nous a reconvertis.
Fernand _ Bravo, oui, oui… (Il sort)
Firmino _ Vite ! Il faut vous rhabiller !
Louis _ On dîne chez toi, ce soir ?!
Don Gennaro _ Repas de fête ! Et veille à ce qu’il y ait la Jeanne, eh !
Marius _ Qu’est-ce qu’on l’embête, ce grand niais de Fernand !
H.D _ Il n’aurait pas semblé plus catastrophé si de Gaulle en personne était venu le jeter à la mer à coups de pieds dans le derrière. Mais alors, ce whisky-soda ?
Don Gennaro _ Oh, pardon, j’oubliais. Tiens, reprends-toi s’en un verre.
Firmino _ Je crois qu’il faisait référence à l’histoire du whisky-soda.
Don Gennaro _ D’accord…dans ce cas, ouvrez grande vos oreilles, mes enfants, car j’ai après tout un certain talent de conteur. C’était donc à la fin de 1944, peu après le débarquement qui avait eu lieu, vous vous en souviendrez, en août. Les boches avaient bien reflué de la région, non sans nous laisser quelques sanglants souvenir ; nous avions, pour notre part, réussi à nous équiper solidement en pillant un convoi américain – affaire difficile – puis en saccageant les convois des Allemands en déroute – bien plus facile ! Mais outre les amerloques, il y avait aussi des Français, mais pas de Français bien de chez nous, des Français des colonies, et c’était drôle car nous parlions tous un français différent…en particulier, l’Etat-Major d’un régiment de tabors marocains avait fait escale à la villa du bord de mer, celle qu’occupa plus tard Antonio. Ce dernier, malin comme d’habitude, vint nous proposer…
Marcel, rentrant _ Bon sang, ça vide les entrailles votre truc !
Marius _ Chut ! On n’entend pas !
Louis _ Y raconte l’histoire, le patron !
Marcel, sortant _ Je vous en mettrais des histoires, gamins…
Don Gennaro _ Si vous continuez à m’interrompre, je ne terminerais pas ! Je disais donc qu’Antonio…
Fernand rentre
Fernand, _ C’est bon pour ce soir. La Jeanne vous prépare une de ces bouillabaisses du tonnerre de Dieu, que des comme ça vous n’en goûterez pas d’autres dans votre vie ! (Il sort)
H.D _ Nous n’en goûterons jamais d’autres ? Veut-il nous empoisonner ?
Don Gennaro, contrarié _ Et bien, si c’est comme ça, je ne continue pas. Vous êtes méchants.
Marius _ Oh ! Ce n’est pas juste !
Louis, trépignant _ S’il te plaît, s’il te plaît !
Don Gennaro _ Non, vous m’ennuyez ; puisqu’il en est ainsi, vous ne connaitrez pas la fin de l’histoire. Ça vous apprendra à m’interrompre continuellement ! (Il va s’asseoir à l’écart, boudant)
Firmino _ Mais vous la connaissez, l’affaire, puisque vous en avez fait partie…
Louis _ Oui, mais c’est plus amusant quand quelqu’un la raconte. On a l’impression d’être dans un roman-feuilleton.
Firmino _ Dans ce cas, je puis terminer de raconter l’affaire à Herr Werner…ainsi, Antonio était entré en contact avec le service de ravitaillement du régiment. Vous vous douterez qu’établir des rapports n’était pas facile : chacun parlait sa langue, l’arabe d’un côté, le sicilien de l’autre, et même le langage des signes variait entre les deux camps !
Louis _ Mais n’oublions pas quand même que le but…
Marius _ C’était de refiler aux tabors du whisky frelaté.
H.D _ Expliquez-moi comment des marocains, de foi musulmane, pouvaient boire de l’alcool.
Firmino _ Et qui t’a dit qu’Antonio leur avait expliqué ce que c’était ? Avec un peu d’alka-seltzer, ça faisait une limonade passable ! Alors, le vieux nous propose exactement cette affaire-ci : nous lui rachetons le whisky, que nous nous occupons de vendre aux tabors à un prix plus haut que celui auquel on l’avait acheté.
H.D _ Donc maintenant votre principale préoccupation était de faire passer l’alcool sans anicroches…
Firmino _ C’est Antonio qui a eu l’idée : nous devions dessiner une suite de trois vignettes, un peu comme dans les bandes dessinées. Nous aurions eu, de gauche à droite, un bonhomme mourant de soif, ce même bonhomme buvant notre whisky, et enfin ce pauvre type tout requinqué.
H.D _ Cela parait une bonne idée. Eine gute Machinationen.
Don Gennaro _ Les Arabes lisent de droite à gauche.
Fernand rentre
Fernand _ Holà, la compagnie ! L’apéritif, ça peut se faire maintenant ?
Don Gennaro _ Peuchère ! C’est qu’il est encore bien tôt, commissaire !
Fernand _ Vé, dans ce cas, une pétanque ! Ça, ça se fait à n’importe quelle heure, pardi ! Et je vous ouvrirais un bon petit pastis en agrément, pas vrai ? Quoi, pas plus d’enthousiasme ? Je sais que je suis le meilleur pointeur du pays, mais…
Marius _ Lou menteur !
Louis _ Escroc ! Comment ça le meilleur ?!
Firmino _ On va voir ce qu’on va voir !
H.D _ Attendez ! Les germaniques aussi peuvent faire de bons scores ! Tous dehors ! Hojotoho !
Fernand _ Marcel, t’y viendrais-tu pas un moment ?
Marcel, hors-scène _ Vé ! Je ne me sens pas très bien !
Fernand _ Rejoins-nous plus tard !
Ils sortent
Scène 3
Un temps. Fanfalon rentre, traînant le garçon de café derrière lui
Fanfalon _ Et que je t’y reprenne, malappris, à faire les yeux doux à celle-là…bon sang, arrête de me regarder avec des airs de merlan frit ! Hop, file à la cuisine ! Et que je ne te revoie plus trainer là-bas, c’est entendu ?
Le garçon _ Oui, m’sieur !
Il rentre, penaud ; Marcel se traîne dehors, dans un état assez lamentable, sans oublier de le houspiller un peu
Fanfalon _ Pardi ! Mais qu’est-ce qu’il t’arrive, eh, Marcel ? T’en as une tête !
Marcel _ Ce fichu Gennaro…
Fanfalon _ Eh, tu délire, Marcel…tiens, c’est nouveau cette liqueur-là. (Il attrape l’huile de ricin, s’en remplis un verre) A en juger par la couleur, c’est du Ricard. Dis, t’es sûr que ça va ?
Marcel _ Cornegidouille, non ! Gennaro est rentré, et…ho, tu m’écoutes ?!
Fanfalon, buvant _ Mais oui, cause donc…fichtre ! Que c’est-il que ce mauvais goût du tonnerre de Brest ?! Pour un peu on dirait de l’huile…
Marcel _ Vé, bonne poire, c’est de l’huile de ricin ! Mais qu’est-ce qu’il t’a pris d’en boire un grand verre comme ça ? Eh, faut être bien fada !
Fanfalon _ De…de l’huile de ricin ?!
Marcel _ Pardi, je viens de te le dire ! Les toilettes sont au fond, à gauche.
Fanfalon s’y précipite
Marcel, se tâtant précautionneusement l’estomac _ Cré vingt dieux, ça se calme…je me vengerais de ce sale type. Quoi, on ne peut même pas faire un petit coup, comme ça, pour rigoler ? Bon, il est fini en prison, mais après tout il n’avait qu’à faire des trucs moins dangereux, peuchère ! Vé, je me fais une autre petite sieste, que ça me calmera l’estomac.
Il s’installe sur une chaise longue qu’il tire d’en dessous le comptoir ; il est dissimulé par rapport à la terrasse ; Julien et Suzanne rentrent
L’angliche _ C’était ici.
Suzanne _ Il y a exactement dix ans…
L’angliche _ Tu te souviens de la date ?
Suzanne _ J’ai bonne mémoire. Dix ans, jour pour jour. Il y avait plus de monde, c’était moins bien rangé…le tourne-disque est nouveau…mais c’était tout à fait ça.
L’angliche _ Nous nous trompions peut-être, alors.
Suzanne _ Il y a encore le temps, pour écrire le mot « fin ». Trente ans, c’est tôt, encore.
L’angliche _ Nous avions vingt ans ?
Suzanne _ Vingt-trois. C’est tout comme.
L’angliche _ On ne peut pas dire que tu ais changé.
Suzanne _ Toi non plus. Un peu moins gai, peut-être.
L’angliche _ Et toi un peu moins folle, peut-être.
Suzanne _ Je n’ai jamais été folle.
L’angliche _ Je n’ai jamais été gai. Et si c’était une qualité, la folie ?
Suzanne _ De quelle folie parlons-nous ?
L’angliche _ Je ne sais pas.
Suzanne _ Alors il ne faut pas en parler. (Un blanc) Il y a un ange qui est passé.
L’angliche _ C’est un lieu commun.
Suzanne _ Mon fou…
L’angliche _ Mon bel amour ma déchirure…
Suzanne _ Comment te sens-tu ?
L’angliche _ Je m’ennuie à mourir.
Suzanne _ Mourir. Ennui. Pourquoi ? Nous nous amusons tellement ! Nous avons chaque jour de nouveaux défis à relever, de nouvelles énigmes à résoudre…pourquoi enfiles-tu toujours d’abord la chaussette droite ?
L’angliche _ J’aime cette robe blanche. J’aime voir des robes blanches, surtout quand c’est toi qui les porte.
Suzanne _ Nous disons des bêtises.
L’angliche _ Oui, c’est mièvre. Nous débitons, vraiment, de belles niaiseries. Mais ne t’en fait pas, ils ne comprennent pas, eux.
Suzanne _ Qui ça, eux ?
L’angliche, vaste geste englobant le bar et le public _ Eux.
Suzanne _ Ah. Alors, pourquoi t’ennuies-tu ? C’est si bon, de lutter.
L’angliche _ Ce n’est pas drôle, lutter, quand on est pauvres.
Suzanne _ Qu’importe l’argent ? Je t’aime. (Elle l’embrasse sur le front)
L’angliche _ L’amour se fane tout comme les fleurs.
Suzanne _ Pas avec nous.
L’angliche _ Si ! Où sont finis les longs et passionnés baisers du début ? Où sont les rendez-vous secrets donnés pour rire, les nuits à l’hôtel, fenêtres ouvertes sur la lune pâle assistant confuse à nos ébats, corps contre corps ?
Suzanne _ Les draps frais les draps blancs…
L’angliche _ La main dans la main, les cheveux emmêlés dans la passion… (Il met un disque, « La javanaise ») c’est Gainsbourg qui chante.
Suzanne _ Laisse cette chanson-là. Je l’aime bien.
L’angliche _ Et moi, m’aimes-tu ?
Suzanne _ J’avoue j’en ai bavé pas vous, mon amour…dansons-nous ?
L’angliche _ Viens.
Danse
Scène 4
Ilitch rentre en scène
Ilitch _ C’est nouveau, ça…ne dérangeons pas.
Marcel, réveillé par la musique, se redresse discrètement _ Peuchère ! C’en est fini de moi ! Ils sont tous là !
Ilitch _ Une vodka, camarade Marcel ! Et deux martini-gin avec ça !
Marcel _ Oui monsieur…eh, le coco, moi je ne vous ai pas fait de sales coups, non ? Alors, vous allez me laisser tranquille ? Pas d’huile de ricin ?
Ilitch _ Qu’est-ce encore que ces inepties ! Huile de ricin, vouvoiement…pardi, d’où vous vient cette humeur loufoque !?
Marcel _ Oh, de nulle part…c’est le soleil, vous savez comme ça tape, ici…et sinon, que faites-vous chez nous ?
Ilitch _ Je vous trouve diablement poli, Marcel. La dernière personne à avoir été si polie avec moi a tenté de me poignarder dans le dos. C’était dans un bar du Quartier Latin. Avez-vous remarqué des Russes par ici ?
Marcel _ Non, pas d’autres cocos. Ça se saurait.
Ilitch _ Bien. Servez-moi.
Marcel _ Oui, oui… (Aparté) qui sait ce qu’ils préparent, ces trois brigands…mais j’ai la solution : une bonne dose de véronal dans chaque verre, ça les étendra raides ! Seuls le croque-mort pourra encore avoir des ennuis.
Ilitch _ L’angliche !
L’angliche, arrêtant le disque _ Vous ici, Ilitch ?
Suzanne _ Tiens, c’est l’ivrogne casse-pied d’il y a dix ans.
Ilitch _ N’ayez crainte, madame, je me suis corrigé, à défaut de mon penchant pour les femmes, de mon vice pour l’alcool. Faites-moi donc, vous deux, le plaisir d’accepter un verre…et que mon toast soit judicieux, cette fois-ci : aux mariés !
L’angliche _ Mais nous ne sommes pas mariés.
Ilitch _ Comment ça ?
Suzanne _ A peine fiancés. A cinquante ans, peut-être, nous concéderons-nous ce luxe, mais nous ne comptons pas y arriver, Bel-Ami. J’ai peur des cheveux blancs.
Ilitch _ Pas d’enfants, alors ?
Suzanne _ Pour quoi faire ?
L’angliche _ Nous ne sommes pas sérieux du tout. Nous nous comportons comme de jeunes amants.
Suzanne _ Sans mari jaloux, mon Bel-Ami.
Ilitch _ Pourquoi ce surnom, mademoiselle ?
Suzanne _ Car cela m’amuse. Il vous manque une madame de Marelle.
Ilitch _ Pardi, la seule chose raisonnable que je vous ai entendu dire est « nous ne sommes pas sérieux »…ça, je peux vous l’assurer, camarades. Or, la vie, mes jeunes amis, c’est tout ce qu’il y a de plus sérieux, et on n’a pas le droit de la rater, ne vous déplaise…
Suzanne _ …en dansant la javanaise…
L’angliche _ Cela n’a pas de sens, la vie ; on se laisse emporter, c’est tout. Le seul but est de vivre, vivre tant que l’on peut encore aimer. Après, la nuit peut tomber, elle ne fera pas de mal…et, qui sait ! Peut-être le dénouement n’en est-il pas un…
Suzanne _ Il y a un esprit, au-delà de l’esprit…
Ilitch _ Vous êtes un cas désespéré. Je renonce à vous raisonner et vous salue.
Marcel, aparté, nerveux _ Comment se fait-il qu’ils sont encore vivants ?
Ilitch se lève, tombe lourdement
Marcel _ Et de un !
Suzanne _ Ah, Bel-Ami !
L’angliche _ Que vous arrive-t-il, camarade ?
Ilitch _ Fichue chaise…bon, les amis, adieu.
Marcel _ Sacré gidouille ! Raté !
L’angliche _ Nous nous reverrons.
Suzanne _ Peut-être.
Ilitch _ Non, camarades, je pars, le plus loin possible de la Russie soviétique. Ce soir, un bateau me transportera clandestinement au Portugal, et de là je partirais pour Cuba, voir comment vont les révolutionnaires…il y a un argentin, Ernesto Guevara, qui s’y fait un nom, parait–il…
Marcel, aparté _ Flûte ! Je leur ai mis des gouttes pour le rhume !
Ilitch _ …depuis quelques temps, le KGB me chasse sans répit, tentant les coups les plus audaces pour me supprimer de la circulation…j’ai rendu trop de services au petit père du peuple. On me reproche d’avoir voulu sauver ma peau. Savez-vous qu’ils se sont livrés à une censure implacable de ma personne, collectant toutes les photos où je figurais et m’en effaçant ? Je n’existe plus, en U.R.S.S, je n’existe plus et n’ai jamais existé. Mais je vous déprime, mes bons amis…mademoiselle, permettez que Bel-Ami embrasse une dernière fois une vraie dame, et de votre trempe… (Il lui fait la bise) après, ce seront les filles à soldat. (Il sort)
Suzanne _ Pauvre Bel-Ami…
L’angliche _ Il a son but. Ces gens-là sont secrètement heureux, car ils connaissent leur achèvement. Nous aussi.
Suzanne _ Et nous donc !
Scène 5
Herr Doktor et Firmino rentrent en scène
H.D _ Guten Tag, Julien, cher ami !
Firmino _ On nous a dit que vous étiez ici…soyons discrets, il ne faut pas, pour cette affaire, que Gennaro soit mis au courant.
L’angliche _ Bonjour, bonjour…c’est un plaisir de vous revoir ; cependant, je vois que vous n’êtes pas ici pour plaisanter. Encore le travail ?
Firmino _ Oh, non, une autre affaire, vous concernant…monsieur Von Blau ci présent se chargera de vous éclaircir ce dilemme peu commun.
Marcel _ Eh, Firmino, ce n’est pas le salon de thé, ici…vous commandez quelque chose ou vous dégagez, peuchère !
H.D _ Je vous conseille de ne pas faire tant le malin, Marcel.
Marcel _ Je fais ce que je veux.
Firmino, à Werner _ Laisse tomber…ainsi, monsieur Jaurèl, voilà ce qui nous mène ici…
H.D _ Soyons bref : l’angliche, vous êtes celui à qui Antonio a légué toute sa fortune, son légataire universel, comme on dit.
L’angliche _ Bon sang ! Comment est-ce possible !?
Firmino _ Antonio a simplement voulu jouer un sale coup à Gennaro…il a donc refilé son magot « à l’informateur de la bande, à savoir monsieur Ambroise Pataquès dit Le monde, ainsi qu’à tout successeur éventuel du dit Le monde ». Vous êtes encore, officiellement, l’informateur du groupe ; c’est vous qui écopez des millions.
Suzanne _ Ne déplorais-tu pas le piètre état de nos revenus ?
L’angliche _ Et bien, je ne veux pas de votre argent.
Firmino _ Comment ça !
H.D _ Vous êtes fou, mon pauvre ! Certes, si vous comptez nous le laisser, cela peut s’arranger…
L’angliche _ Ou bien, je le prends, mais il sera partagé équitablement entre les divers membres du groupe. Car après tout, c’est aussi grâce à vous que je gagne ces millions.
H.D _ Ah ! J’en ai les larmes aux yeux ! Quelle noble résolution ! Me rendre millionnaire, vraiment, jamais je ne saurais vous remercier assez !
Entre Gennaro
Don Gennaro _ Oh, Doktor, c’est ton tour de…pardi, l’angliche et la p’tite Suzanne ! Vé, comment ça va-t-il ?
Firmino _ Gennaro… (Il lui chuchote quelque chose à l’oreille)
Don Gennaro, assombri _ Impossible… (À part) Non, ça ne va pas, cet argent est à nous, rien qu’à nous, pas à lui. Je n’ai pas fait dix ans de prison pour ça.
Firmino _ Mais voyons, si tout sera partagé…
Don Gennaro _ Non…je suis désolé d’en arriver à de telles extrémités, mais il nous faut nous débarrasser de lui. Proposez-lui une chambre à l’hôtel : cette nuit, nous les enlèverons et les jetterons par-dessus la falaise.
Firmino _ Comment peux-tu seulement y songer !
Don Gennaro _ J’ai une bande à nourrir. Messieurs, au revoir ; l’angliche, Suzanne, je vous souhaite bien du plaisir…prenez une chambre à l’hôtel, et profitez bien de cette nuit pour…vous divertir…
Il sort
Suzanne _ Je ne me souvenais pas que Gennaro ait l’habitude des phrases à double sens.
Firmino _ C’est bien étrange, en effet…fichu frangin, la prison ne lui a pas fait du bien. Il faudra que j’avertisse ces deux nigauds d’amoureux discrètement.
Le facteur arrive
Le facteur _ Messieurs Jaurèl, Marcel, Weber…
H.D _ Je me nomme « Werner », sot.
Le facteur _ Enfin bref, ces trois personnes sont-elles ici ?
L’angliche _ Nous voilà, comme vous pouvez le constater.
Le facteur _ J’ai à vous remettre vos papiers militaires ; vous êtes tous les trois mobilisés pour l’Algérie. Il me reste encore les ordres pour messieurs Louis, Marius et André. (Il sort)
Marcel _ Ah ça ! Je proteste ! Il faut écrire au président !
Suzanne _ Il y aurait bien une solution…
H.D _ Laquelle, mademoiselle ?
Suzanne _ Marcel, tu tiendras le maquis pendant quelque jour ; tu es un peu vieux pour être mobilisé, il doit s’agir d’une erreur. Nous, mon cher Werner, nous partirons avec le russe pour Cuba. Ils n’iront pas nous chercher là-bas, et je suis prête à parier qu’ils n’ont pas l’extradition !
L’angliche _ Je l’ai toujours su que tu étais formidable, mon amour…
Suzanne _ Mon grand fou…
H.D _ Monsieur le président, je vous fais une lettre…
Tous reprennent la chanson de Vian « Le déserteur ». Les rideaux se ferment à moitié, de sorte qu’on ne les voit plus, mais qu’un espace scénique reste disponible pour l’épilogue
Epilogue
Marcel se présente
Marcel _ Fichtre ! Elle n’est pas encore finie, cette histoire-là ! Où donc placerons-nous le dénouement ? Cela commence à être terriblement long. Je l’ai eue, pour finir, ma vengeance : don Gennaro a raté ces deux niais de tourtereaux. Et ils m’ont entendu, à la préfecture ! Vé ! Me faire le coup de la mobilisation ! Complétement fada, ces fonctionnaires. Il faut dire que dans la vie, certains réussissent, d’autres pas ; la grande règle, lorsqu’on préfère réussir, c’est de ne pas être gentil. Je suis riche ; j’embête tout le monde ; je suis heureux. Peuchère ! La Fin viendra, mais ce n’est pas pour demain la veille. Adieu donc !
Il sort, rentre Salvatore
Salvatore _ Dio bon, ça fait un moment que je ne parle pas. J’aime bien être au centre de l’action. Mais la vie du proscrit, ce n’est pas drôle : j’en ai fait du chemin, moi, de Samarkand à Oulan en passant par les terres afghanes et le Taïmyr ; tout cela, avec l’adjonction de quelques escadrons du KGB à ma poursuite. Je leur en ai faites voir des vertes et des pas mûres, aux soviets ! Mais là, la Fin est proche. Ces fichus chintoks maoïstes sont plus doués que ces bons vieux bougres de tchékistes. Une balle dans la tête, au milieu de la Chine : étrange dénouement pour un émigrant radical, belle conclusion pour un aventurier !
Il sort, entre Herr Doktor
H.D _ Quelle belle journée…une tiédeur mielleuse épaissit l’air. Il est suave de vivre. Je préfère presque Cuba à la Provence…quoique Castro me considère d’un drôle d’air. Ce brave barbu…lui, Raul, Ernesto : trois barbus. Et trois barbus, on le sait, ça fait un barbouze…deux solutions pour le retour en France ; Erste, passage en clandestin. Zweite, un beau jour d’été, après un dernier pastis, s’envoyer une balle dans la tête. Un p’tit trou, un p’tit trou, un dernier p’tit trou…
Il sort, entre Firmino
Firmino _ Damnés Français ! Ils sont incorrigibles et charmants. Pour finir, il me faut bien leur excuser ce chauvinisme gaulois. Râleurs, hâbleurs, on n’en retrouve nulle part des comme eux. Et tant pis si la tournure n’est pas française : la France, c’est aussi un pays, où il n’y a quand même pas cinquante millions d’abrutis !
Entre don Gennaro
Don Gennaro _ Finie la vie de gangster ! Comme tout mafioso qui se respecte, je me suis acheté une belle villa en côte d’azur, une DS comme celle du général de Gaulle, et aussi un beau lit à baldaquin style Louis XV pour la chambre à coucher. Il y a bien un ou deux imbéciles qui ont tenté de me régler mon compte, mais sachez que l’on ne vient jamais à bout d’un type de l’envergure de Gennaro. Il était d’ailleurs temps de laisser tomber la mafia : ces trucs-là, ça vous apporte toujours des ennuis. Les mafiosi gentils ne sont pas nombreux, quand on sort des livres ; Al Capone, le mythique Scarface, était une brute égoïste et fourbe, qui bâtit son empire sur le vice, le meurtre et la corruption ; les mafiosi, maintenant, posent des bombes à la sortie des écoles. Retenez donc cette morale : excepté Gennaro, le seul bon mafioso est le mafioso sous les verrous.
Ils sortent, entrent Marius, Louis et Scipion, en légionnaires
Marius _ J’ai soif !
Louis _ J’ai trop chaud !
Scipion _ Tiens donc ? Et pourquoi pas « j’ai envie de faire pipi ? » !
Marius _ Aussi ! Flûte, c’est qu’il fait chaud dans ce désert.
Scipion _ C’est le Sahara, mon vieux…
Louis _ Ö sergent, qu’est-ce qu’on fait, où est l’oued ?
Scipion _ Ils l’ont bombardé. Le puit est comblé…mais il me reste une goutte de pastis dans ma gourde : partageons-là et repartons.
Louis _ Zut ! Je n’en peux plus de marcher. S’il faut que je finisse dans le ventre des vautours, je finirais dans leurs ventres assis.
Marius _ Bien vrai !
Scipion _ Fort bien. (Il s’éloigne) Moi, j’y arriverais à Oran ! Et les fellaghas n’ont qu’à bien se tenir !
Marius _ Vé, pour finir il n’a pas tort, le Neandertal. Je vais voir de ramasser sa goutte de pastis…
Louis _ Tu le suis ?
Marius _ Deux intellectuels assis vont moins loin qu’une brute qui marche.
Louis _ Ah oui, bien vu.
Ils sortent ; Fernand rentre en scène
Fernand _ C’est bête, pas vrai, de se faire exploser un bâton de dynamite dans les mains ? C’est ce qu’aurait fait ce malin de Sans – euh…Sean – si je ne l’avais pas attrapé en train de rôder autour du bar de Marcel. Oublions-nous quelqu’un ? Ce bon vieux Fanfalon a une crise de foie, il a mangé trop de bouillabaisse hier soir chez Marcel…ah ! Et moi ! Alors, il faut dire que…
Une voix _ Fernand ! A la soupe !
Fernand _ Holà ! C’est la Jeanne ! Si je ne cours pas, elle va me flanquer une de ces raclées…bon, dans ce cas, au revoir tout le monde.
Il sort, passent Suzanne et Julien, dansant
Julien _ Qu’en penses-tu, mon amour ?
Suzanne _ J’avais voulu voir en vous, cet amour…
Julien _ Mais là, pour une fois, je suis sérieux. Que penses-tu de ce petit conte de la Riviera ?
Suzanne _ Je pense que c’est enfin…la Fin.
Ils sortent. Rideaux.

FIN
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