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trotsky
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MessageSujet: Théâtre   Théâtre Icon_minitimeDim 26 Fév - 19:59

Juste un petit monstre en cinq actes...
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trotsky
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MessageSujet: Re: Théâtre   Théâtre Icon_minitimeDim 26 Fév - 20:00

LES INSURGÉS

Personnages

Aleksander Soldat rebelle, aime Tania
Berissov Général monarchiste
Boris Portefaix
Doutes Ancien typographe, lieutenant des chefs
Dragomir Colonel de l’Armée Rebelle
Grigori Dimitrovitch Pope
Iossif Vissarianovitch Le gouverneur, commande tout et tous
Ivassov Bourreau
Karnos Chef révolutionnaire
Karol Garde Rouge, traitre
Machkov Général révolutionnaire
Nicolaï Andréiévitch von Pirontiz Noble
Piotr Semionovitch Chef des bandits
Sijuck Fou
Tania Alexandrovna Dactylographe, membre de la section Informations
Werkel Chef révolutionnaire, directeur de la section Informations
Un infirmier
Divers officiers rebelles
Trois messagers
Un moujik
Soldats
Aides de camps
Des bandits
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trotsky
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MessageSujet: Re: Théâtre   Théâtre Icon_minitimeDim 26 Fév - 20:02

ACTE I

Nous sommes devant la gare de Tsaritsyne, grande ville du sud de la Russie.

Scène 1-Machkov, Werkel, puis Karnos, Ivassov et Grigori

Machkov et Werkel entrent en courant
Machkov : Un triomphe…nos troupes ont pris le Palais…nous obtiendrons la victoire ! Vois-tu la scène grandiose, Werkel ? Mes soldats alignés dans la cour, face aux cosaques du Czar, un face-à-face long et silencieux dans la place d’armes sillonnée par des souffles de vent glacial, puis l’ispratvnik comparait au balcon et donne l’ordre de charger...le capitaine des cosaques se retourne, dégaine son pistolet d’arçon, vise lentement et descend l’hobereau ! Puis tous les soldats s’embrassent, s’étreignent, on court dans les salles du Palais et capture les derniers résistants...un triomphe !
Werkel : De sombres jours s’annoncent pour la Révolution…je doute que l’abnégation nécessaire pour en conserver les fruits existe.
Karnos rentre en scène avec Doutes
Doutes : Camarades, camarades, nous vous apportons une grande nouvelle !
Werkel, troublé : Que nous dit-tu encore, Doutes ?
Karnos : Le Czar est mort ! Le Czar est mort ! Ils l’avaient emmené à Ekaterinbourg et là-bas l’ont fusillé avec sa famille ! Déplorons le massacre, mais réjouissons-nous d’un fait : nous avons gagné ! Les soviets tiennent toujours en Moscovie !
Ensemble : Vive la Révolution !
Ils sortent, Ivassov arrive
Ivassov : Etrange chose que la vie…une révolution ? Bah ! Pour les uns et les autres, la Mort ne change pas…c’est la Mort le seul point de repère stable dans ce monde.
Grigori, en entrant : Ah ! Ivassov ! Tous te cherchent…il faut pendre le chef de la Garde Impériale.
Ivassov : J’arrive, j’arrive… (il sort).
Grigori : C’est ça, disparais, sale oiseau de mauvais augure, retourne auprès de tes proies, vautour !

Scène 2-Grigori, von Pirontiz

Von Pirontiz rentre en scène
Grigori : Excellence ! Avez-vous entendu parler de la terrible et néfaste nouvelle ?
Pirontiz : Hélas, hélas…elle est terminée, la vie mondaine, partie avec les bals, les parades d’Août, mon patrimoine ! Damnation ! Le menu peuple met à sac les palais…pourtant, avec tout le travail qu’ils avaient, où ont-ils trouvé le temps d’apprendre la révolution ?
Grigori : Allons, von Pirontiz, il faut savoir accepter les maux que nous envoie la Providence…tel Job, nous sommes mis en épreuve par le Tout-Puissant…mais ne désespère pas : jamais il ne nous oubliera.
Pirontiz : Le Seigneur ! Dieu ! Depuis tant de siècle vénéré par ma noble famille…c’est ridicule. Ecoute, Grigori, écoute…si Il est omnipotent, pourquoi ces sans-dieu, ces sacrilèges ont triomphé ?
Grigori : Les voix du Seigneur…
Pirontiz : Impénétrables ? Mais pourquoi donc ? Toute cette histoire est une formidable escroquerie ! Et…as-tu déjà entendu parler du Destin ? S’Il sait tout -hm ! On dit omniscient !- alors, il connait déjà le déroulement des évènements ! Pourquoi n’empêche-t-il tout cela s’Il est si puissant ? Pourquoi ne m’a-t-il averti, eh ? Alors ?
Grigori : C’est avant la révolution qu’il fallait philosophailler. Vous êtes en danger, et risquez d’être tué si vous demeurez ici.
Pirontiz : Oui…excusez mon emportement, vous avez raison, mon révérend. Cependant…je ne vois pas plus d’une issue, oh combien difficile et triste…
Grigori : …l’exil. Si vous me permettez, je peux vous procurer les documents, l’argent et les habits nécessaires pour permettre votre fuite.
Pirontiz, caressant son sac : L’argent, ce n’est pas ce qui me manque, pour l’instant…je n’ai pas quitté ma maison sans un kopeck ; vous, par contre, occupez-vous, je vous en prie, d’organiser mon départ.
Grigori : Ainsi soit-il. Au revoir !
Il sort

Scène 3-Pirontiz et Berissov

Berissov, déguisé en soldat, arrive
Berissov : Hé ! Pirontiz ! C’est moi, Berissov !
Pirontiz : Juste Ciel ! Que fais-tu ici ? Si les rebelles te trouvent tu seras exécuté !
Berissov : Cela vaut aussi pour toi.
Pirontiz : Je l’admets.
Berissov : Maintenant, parlons de choses sérieuses…tu n’es pas sans savoir que de nombreuses troupes ont rejoint les insurgés, et que donc tout ce qu’il me reste de mon rang de général c’est son l’uniforme. Que soit maudite cette piétaille qui se croit suffisamment forte pour renverser une dynastie séculaire ! En effet, j’ai commencé à réunir quelques partisans de la cause impériale. Avant l’arrivée du prochain gouverneur, nous avons l’intention de commettre des attentats contre les principaux leaders rebelles, suivis d’un soulèvement contre-révolutionnaire avec l’aide de la Finlande. Maintenant, von Pirontiz, s’il vous reste un peu du courage de vos ancêtres guerriers, vous devriez faire partie de notre organisation.
Pirontiz : Je vous assure, Berissov, que je vous approuve de tout mon cœur, mais justement, seulement de tout mon cœur…j’organise mon départ.
Berissov : Allons, pensez-y…il faut que vous restiez avec nous…
Pirontiz : Non, vraiment, je dois partir.
Berissov : Mais enfin, vous valez mieux que ça, que diable ! Il faut un peu de courage dans la vie !
Pirontiz : Courage et inconscience ne vont pas de paire : j’en suis réellement désolé, mon ami, mais la réponse est non.
Berissov : Traitre ! Tu ne peux pas abandonner notre cause !
Pirontiz : Traitre, moi ? Mais le Czar est mort ! Vous avez perdu d’avance !
Berissov : Maudit couard ! Disparais de ma vue, lâche qui déshonore la mémoire de ses illustres ancêtres, allié des régicides, ou je te plante mon sabre dans le ventre !
Pirontiz : Inconscient ! C’est à cause d’incapables comme toi et l’état-major que nous avons perdu ! Adieu !
Berissov : A ne plus jamais nous revoir !
Pirontiz sort

Scène 4-Berissov, puis Aleksander

Berissov : Voilà, bien fait, un inutile hobereau de moins, pouah ! Mais…un instant…quelqu’un arrive.
Aleksander entre
Aleksander : Salut, camarade ! Vive la Révolution !
Berissov : Euh…je…oui, oui, bien entendu. Hourra ! (à part) Il faut être prudents. Répondons comme il le veut.
Aleksander : Je vois que je ne suis pas le seul à fuir la foule ivre de victoire…dans les palais pris d’assaut les ors gisent brisés à terre et l’on arrache les vastes tentures pourpre, les milices brisent les tonneaux de vins luxueux cachés dans les caves bourgeoises…les étagères renversées, les livres aux pages jaunies et aux couvertures de cuir et argent nourrissent le feu aux flammes dansantes…ceci, camarade, est le beau et misérable spectacle de la révolution menée par nous autres soldats. Mais les maux inutiles n’existent pas, et nous devons commencer par effacer l’ancien univers aristocratique pour en créer un nouveau, meilleur. Cette raison pourtant ne me suffit pas pour chercher le contact de cette frénésie destructrice. Seuls les fantômes blancs des froides nuits d’hiver me tiennent compagnie pendant que je l’attends…
Berissov : Pendant que vous attendez qui ?
Aleksander : Elle.
Berissov : Cela me parait être un peu vague, comme réponse.
Aleksander : Elle…je l’appelle ainsi, et cela me suffit. C’est une flamme dans l’âme, un frisson parcourant les membres et puis tout le corps qui se remplit d’une douce tiédeur, son image occulte toutes les autres pensées qui s’amalgament quelque part au fond de l’intellect pour laisser une place grande comme le ciel infini à cette admirable passion.
Berissov : Bref, bien des mots pour dire que vous cherchez l’âme sœur. En fait « Elle » était plus compréhensible.
Aleksander : Tu n’es pas, hélas, le premier ni le dernier à me le dire, je le crains. C’est pourtant ainsi que mon esprit se représente l’Idéal. Mais de si petites choses suffisent à charmer mon âme, que je ne suis pas sûr de savoir distinguer plaisir et passion. C’est pourtant cette stabilité de sentiments, située quelque part entre désespoir et béatitude, appelée par le commun des mortels « amour », qui est mon seul objectif.
Berissov (à part) : Fantastique, mais pourquoi suis-je tombé sur le seul poète prolétaire de la ville ? (à Aleksander) Au revoir, camarade, discuter avec toi fut un plaisir, hélas, bien court : je dois en effet me hâter de rejoindre ma compagnie, qui part pour Kazan.
Aleksander : Bonne chance !
Berissov sort
Aleksander : Quelle brave personne…un peu taciturne, mais il a peut-être compris mes idées. Ah, quelle belle chose que cette pensée, immatérielle et volatile, légère comme un flocon de neige, qui ainsi qu’eux compose dans ma tête non moins de danses, danses de la neige en hiver…et cette blessure dans mon âme lorsqu’Elle passe…et Elle, enfin, il faut la trouver en se libérant de vaines considérations matérielles. Vraiment charmante, la secrétaire de la section Informations…bah ! Tait toi, Aleksander ! Il se fait tard.
Il sort de scène, salue de la tête Grigori et Pirontiz qui rentrent

Scène 5-Grigori, von Pirontiz, puis Boris et Berissov

Grigori : Et bien ?
Pirontiz : Je pars, bientôt je pars, loin, si loin. C’est amusant, savez-vous ? De toute ma vie je ne suis sorti qu’une fois de Russie…j’étais allé à Berlin avec feu ma femme. Il n’y a rien de mieux que les révolutions pour voir du pays.
Grigori : Je suis désolé.
Pirontiz : Moi aussi.
Berissov arrive, suivi par Boris
Berissov : Hem…Nicolaï Andréiévitch, il te faudra peut-être quelqu’un pour te porter les bagages.
Pirontiz : Berissov ?! Toi ici ?
Berissov : En fait…je me suis rendu compte qu’avec toi, c’est aussi un morceau de l’Empire qui m’abandonne…et…qui sait, un ami peut-être.
Pirontiz : Oui. Deux amis qui doivent se dire adieu.
Berissov, donnant une pièce à Boris : Occupe-toi des bagages de monsieur. (Serrant la main à Pirontiz) Adieu.
Pirontiz : Que Dieu te protège.
Berissov s’approche de la sortie, puis se retourne et ajoute orgueilleusement : Petite correction…à bientôt !
Il sort
Grigori : Même cet impassible militaire craint les adieux.
Pirontiz : Les adieux les plus sincères ne sont pas les plus longs…à mon avis, cette tête de mule de Berissov vaut mieux qu’il ne le croit lui-même. Tu te souviens du départ d’Ilia ? Nous n’avons pas réussi à nous attarder sur le quai, tant nous étions tristes. Maintenant, j’aimerais bien ne pas devoir assister à mon départ, ne pas devoir dire adieu à ces branches dépouillées et noires, là-bas, recouvertes par la neige comme par un linceul, dire adieu aux colonnes d’acier qui soutiennent la station, à cette voie ferrée qui sous peu m’emmènera loin, à toi, à mes amitiés d’un temps…j’ai peur, maintenant, peur du grand voyage dans la nuit que j’entreprends, mais maintenant on ne peut plus faire marche arrière, et je devrais aller jusqu’au fond de la tristesse.
Grigori : Entendez-vous le train, Nicolaï Andréiévitch ? Je dois vous quitter, d’autres ont besoin de mon secour. Avant de nous laisser, pour si longtemps…écoutez, on se connait depuis tant d’années…laisse-moi te tutoyer…je te bénis, et ne cesserais de penser à toi et à tous les autres dispersés par le Destin. Adieu.
Pirontiz : Adieu…
Grigori sort

Scène 6-Boris, von Pirontiz

Pirontiz : Enfin, je m’en vais… (Sifflement de la locomotive) oui, oui, me voilà, j’arrive…tous ce qui restent ignorent l’angoisse de l’exilé, les visages nouveaux auxquels il faudra s’habituer, et les anciens qui resteront pour nous tourmenter…(deuxième sifflement) oh ces visages aimés de ma jeunesse, Ivan, Sonia, bref amour effacé par les années cruelles… (tâtant ses poches) j’ai oublié le portefeuille et les lettres…tant mieux ! Il faut couper avec le passé…tiens ! Mon passé, ce sont des lettres d’amour jaunies par le temps et un médaillon avec un portrait du siècle dernier ! Maudit temps ! Il coule lent comme un grand fleuve…on s’approche tout doucement des cinquante, puis des soixante, maintenant des soixante-quinze ans…le Czar vous invite au Palais d’Hiver pour vous dire : « Monsieur, vous avez connu il y a bien des années feu mon père, parlez-moi de ce grand homme »…et aussi mes amis Piotr, Boris…
Boris : Présent !
Pirontiz : Non, non, c’est d’un autre Boris que je parlais. N’y prend pas garde…ce sont des histoires de vieux, les miennes…
Boris : Si vous me permettez, monsieur (troisième sifflement) le train va repartir.
Pirontiz : Ah ! J’oubliais… (il prend la valise que lui tend Boris, ouvre la porte de la gare) bah ! D’une façon ou une autre, je serais parti d’ici : j’avais le choix entre un wagon et un cercueil. Adieu, ô Russie tant aimée ! (Il rentre).
Boris : Eh bien, j’n’aurais pas cru ça si je n’l’avais vu…j’ai pour sûr croisé des gens étranges, mais autant que ces trois espèces de paradoxes ambulants ! Romantiques, ancien régime, batailleurs…que de doutes et de folies entrent dans l’esprit des hommes !
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trotsky
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MessageSujet: Re: Théâtre   Théâtre Icon_minitimeDim 26 Fév - 20:05

Acte II

Nous sommes dans une des pièces du palais du gouverneur, transformé en Grand-Etat-major par les révolutionnaires. Au fond est pendue une carte de la Russie, mais il y a aussi une chaise équipée de cordes et menottes pour un éventuel prisonnier.

Scène 1-Berissov et Karol

Berissov : C’est une chance t’avoir rencontré…mais, dis-moi, pourquoi avoir abandonné la cause révolutionnaire, Karol ? Il me souvient que tu as participé à quelques grandes mises à sac…
Karol : C’est étrange, en effet…je connais par cœur les grands classiques révolutionnaires, ai longtemps attendu la fin de la monarchie, et quand enfin cet heureux– permettez-moi de dire heureux- jour est arrivé, j’ai découvert que tout ce que pouvait faire le bolchevisme, c’était mieux répartir la pauvreté.
Berissov : Sacrebleu ! Quelles raisons…en fait, tu peux faire tenir bien des choses dans ton petit crâne…on n’aurait pas dit.
Karol : Merci, j’adore vos compliments.
Berissov : Ne te vexe pas ! Ah, et, d’ailleurs, évite de manquer de respect à mon souverain à l’avenir.
Karol : Le problème, de vous autres, c’est que vous confondez politique et éthique…être objectifs est devenu une nécessité de nos jours. On ne peut pas effacer la sanglante répression des soulèvements de Varsovie, ni les exécutions d’aristocrates ce Février…je suis convaincu que les goulags tsaristes sont une réalité qui durera de longues années encore, même si les révolutionnaires en changeront le nom et la direction.
Berissov : D’accord, d’accord, ferme-la maintenant…donne la bombe.
Karol, passant le matériel : Dynamite…câbles…détonateur…voilà.
Berissov : Parfait…ça, sous la table…alors, on va dire qu’il est…trois heures…je la règle pour qu’elle explose à quatre heures, en pleine réunion de l’état-major.
Karol : Dépêche-toi ! Quelqu’un arrive !
Ils sortent

Scène 2-Karnos, Werkel, Doutes et Machkov, puis 3 messagers

Karnos, Werkel, Doutes et Machkov, suivis chacun d’un aide de camps, arrivent
Werkel : Les nouvelles arrivées de l’ambassade de Suède sont inquiétantes.
Doutes : Je ne suis pas d’accord ! Il parait que la situation la plus dangereuse est celle de Leningrad, nos alliés les marins de Kronstadt semblent favorables à une mutinerie…
Machkov : C’est moi qui commande nos troupes ! A mon avis il faut répondre aux insultes de la Pologne. Ces intrigants réactionnaires méritent d’être écrasés par notre armée. Tous à Varsovie !
Un messager arrive
Premier messager : Messieurs ! J’ai une nouvelle de premier ordre de la part du général Boudienny : la place forte de Kazan, défendue avec fougue par les Blancs, est tombée entre nos mains.
Karnos : Bravo ! Part féliciter le général, et que vive la Révolution !
Premier messager : Vive la Révolution ! (il sort)
Machkov : Quelle bonne idée d’anticiper la réunion du conseil de guerre ! Les bonnes nouvelles foisonnent !
Werkel : Ça ne veut rien dire. Attendez donc…
Entre un deuxième messager
Deuxième messager : Nouvelles du front d’Ukraine !
Werkel : Et bien ?
Deuxième messager : Le commissaire du peuple à la guerre Trotski m’envoie vous avertir qu’à cause des délateurs, la moitié des convois de ravitaillement opérant contre le baron Wrangel ont été détruits, et que sa propre vie a été mise en péril. Il faut que la région soit pacifiée d’ici l’arrivée du gouverneur Iossif.
Werkel : Je l’avais bien dit !
Doutes : Mentalité contre-révolutionnaire, camarade Werkel, faites attention…
Werkel : Comment, Doutes ?
Karnos : Qui peut me donner l’heure ?
Deuxième messager : Il est trois heures dix, on m’attend à Moscou.
Karnos : Que l’on fusille toutes les personnes suspectes de trahison.
Deuxième messager : A vos ordres !
Il sort, entre un troisième messager
Troisième messager : Nous avons capturé un individu qui rodait dans la cour intérieure. On dirait un pope.
Machkov : Damnation ! Tous dehors ! Il faut l’interroger !
Tous se précipitent dehors sauf Doutes

Scène 3-Doutes, puis Berissov et Ivassov

Doutes : C’est une belle chose que la révolution…jamais auparavant un simple typographe comme moi aurait pu prétendre arriver si haut. Pourtant, tous mes camarades me semblent bien aveugles : il ne faut pas s’attacher autant à une idéologie ; ils n’ont pas compris que quelque entreprenant comme moi en comprend mieux les principes (Berissov entre) et, malgré l’ombre dans laquelle on le laisse dépérir, peut machiner un plan qui les éliminera tous et lui ouvrira la voie du Pouvoir, via courbettes et flatteries auprès des Grands. Eh ! Qu’est-ce que tu fais ici, soldat ? Combien de fois faudra-t-il vous dire de ne pas voler les uniformes des officiers tsaristes ? Tiens ! C’est d’ailleurs un bel uniforme…au moins un général…euh…dis-moi… (il manipule son poignard) as-tu entendu quelque chose d’important ?
Berissov : Euh…et bien, vous avez dit que vous voulez monter des courbettes chez les grands.
Doutes : Fort bien, fort bien, exact, cela suffit. Garde cette salle, et prépare les instruments pour un interrogatoire : nous avons capturé un prêtre réactionnaire… (il feuillette des fiches posées sur une table) ce doit être ce damné Grigori Dimitrovitch.
Il sort, Berissov, défaillant, s’assoit
Berissov : Juste Ciel ! Mais qu’ai-je donc fait ? Il est trois heures un quart…si je n’enlève pas la bombe, Grigori mourra…
Ivassov entre
Ivassov : Ah ! Camarade soldat ! J’ai besoin de quelqu’un pour aiguiser le sabre…après lui avoir fait avouer ses fautes, nous allons exécuter un moine : on n’élimine pas tous les jours un type avec un billet d’entrée gratuit pour le paradis.
Il sort
Berissov : Loué soit le Seigneur, si l’on peut dire…cela résout…résout…en fait, ça ne résout rien du tout. Mon dernier compagnon sera bientôt tué ; je découvre maintenant que la solitude n’est jamais plus belle que quand on est en compagnie…maudite soit la révolution.
Il sort

Scène 4-Werkel, Machkov, Doutes, soldats, aides de camps, puis Karnos

Werkel, Machkov et Doutes arrivent, avec Grigori soutenu par deux soldats
Werkel : Posez-le sur cette chaise et liez-le solidement…gardez les portes.
Doutes, pour soi : Mais où peut bien être allée l’autre garde ?
Machkov, à Grigori : Alors, bandit ! Qui es-tu ?
Grigori : Je suis serviteur de Dieu.
Machkov : Ha ha ha ! Soit il est fou, soit il est suicidaire. Et qui est ce monsieur ?
Grigori : Au commencement était le Verbe et le Verbe était Dieu.
Werkel : Nous ne t’avons pas demandé de réciter le bréviaire. N’essaye pas de nous avoir avec tes patenôtres. Où vit ce « Dieu » ?
Grigori : Il est partout, et tout est sa demeure.
Doutes : Prenez note : ce type se prétend serviteur de « Dieu », un clochard.
Rires des révolutionnaires, Grigori reste impassible
Grigori : Il est aisé de rire des faibles et des opprimés, mais sachez que là-bas les humbles seront exaltés et les orgueilleux humiliés. Vous voulez me faire un procès de comédie, mais mon âme est suffisamment habituée à la souffrance pour ignorer vos basses injures.
Machkov : Ah bon ? Vous autres prêtres êtes tous les mêmes profiteurs, sangsues agrippées tenacement au peuple, qui prêchez le dénuement et l’amour du prochain mais possédez d’immenses propriétés à côté desquelles les paysans meurent de faim sans secours !
Grigori : Je n’ai jamais adhéré au Saint-Synode ! Le Czar m’a fait déporter dans l’Oural en ’87 ! Je connaissais, certes, des nobles, mais je me suis efforcé toute ma vie de ne faire aucune distinction entre eux et les autres fidèles ! J’ai en effet, peut-être, confus parfois mes convictions et la Foi, mais jamais, jamais je ne suis sorti de la voie droite que je m’étais fixé ! Oui ! Je l’admets ! C’est moi, Grigori, le moine qui a permis la fuite de tant d’aristocrates ! Moi qui ai donné la dernière messe à Odessa ! Moi qui, sur le front, ai dit aux soldats de laisser leurs fusils et de fuir cette guerre injuste qui déchire la Russie ! Oui ! Oui ! Aujourd’hui et pour toujours, c’est moi, misérable auxiliaire d’une puissance à vous inconnue, qui m’oppose à votre révolution sanglante !
Werkel l’assomme, Grigori s’affaisse
Werkel : Quel fou mystique !...il me faisait peur…on aurait dit qu’un feu surnaturel le consumait de l’intérieur…
Doutes : Tu t’inquiètes pour bien peu, camarade…nous avons perdu 20 minutes, il est trois heures et demie passées…
Karnos rentre
Karnos : Machkov ! Le colonel Dragomir a besoin de ton autorisation pour lancer une attaque. Doutes ! On a besoin de toi pour préparer les appartements du gouverneur qui arrive de Moscou !
Doutes : J’accours !
Machkov : Il nous faut remettre à plus tard la séance…si l’un de vous n’est pas ici à quatre heures, il aura affaire à moi, et gare à lui !
Lui et Doutes sortent, avec les aides de camps et un soldat

Scène 5-Karnos, Werkel, Grigori, un soldat, puis Tania, Aleksandrov et Berissov

Karnos : Ecoute, Werkel…que penses-tu de Doutes ?
Werkel : Euh…
Karnos : Il me semble sincèrement attaché à la Révolution…l’as-tu entendu commenter les articles de la Pravda ? Je pensais obtenir sa promotion à conseiller militaire du gouverneur.
Werkel : S’il en est ainsi…je présume que mon devoir est de rédiger l’acte de promotion…
Karnos : Exactement ! Voyons…il est trois heures 35, j’appelle une dactylographe pour taper à la machine le message…allez ! Bon travail !
Il sort
Werkel : Je me méfie de Doutes…il est trop fanatique…je le vois tout à fait nous trahir pour une meilleure promotion, et puis il me déteste…dès que le gouverneur arrive, je le convaincs de faire fusiller cet affreux bonhomme. Mais qui d’autre se méfie de Doutes ?
Tania rentre en scène avec une machine à écrire, un stylo, quelques feuilles
Tania : Bonjour, camarade directeur !
Werkel : Bonjour ! Alors, il me faudrait rédiger une note de promotion, donc je vous donne l’essentiel mais vous écrivez quelque chose de beau et concis, non de frappant : c’est pour le camarade Doutes…compliments du reste du conseil militaire…congratulations, en fait, et aussi promu conseiller militaire du gouverneur…
Tania : Comment s’appelle-t-il ?
Werkel : Le gouverneur ? Mettez le camarade gouverneur Iossif Vissarianovitch…bon, c’est tout, améliorez ce premier jet et envoyez le à mon bureau, merci et au revoir !
Il sort, Tania écrit, Aleksander entre après un court moment
Aleksander, au soldat : Camarade…je prends la relève…(le soldat sort, à Tania) hem…bonjour.
Tania : Bonjour.
Aleksander : Cela vous dérangerait que je reste ici ?
Tania : Si vous n’avez rien de mieux à faire…par contre, taisez-vous : je travaille, moi.
Aleksander : A vos ordres ! (il s’assied, sort un livre de sa poche) L’avez-vous déjà lu ?
Tania : Non.
Aleksander : Enfin, c’est que…bon, je ne sais pas me taire, mais c’est un beau livre… « La chartreuse de Parme », un roman français bien beau…seul Stendhal décrit si bien l’Italie…
Tania : D’accord, j’ai compris, maintenant silence !
Aleksander : Avez-vous déjà été en Italie ? Moi oui, j’ai dû m’exiler en 1911, mais je n’avais pas beaucoup d’argent suite à la confiscation de mes maigres biens et j’ai tout juste réussi à m’offrir le trajet Odessa-Venise-Rome…
Tania : Chut !
Aleksander : Ah, euh, d’accord… (Il voit Grigori, le secoue, arrête quand il voit qu’il est ligoté ; Berissov entre)
Berissov : Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Que font ici ces deux… (il voit Aleksander) ventre saint gris ! Le poète !
Aleksander : Vous ? L’uniforme royal ?
Tania : Ah, ainsi donc maintenant ce sont vos amis qui viennent alimenter la causette ! Je ne vois qu’une solution, partir : monsieur, vous êtes insupportable ! (Elle gifle Aleksander, part vers la porte, s’arrête un instant, à part) il a pourtant l’air charmant, ce petit… (elle sort)
Aleksander, la main sur sa joue : Mais pourquoi… (à Berissov) Je croyais avoir compris que vous étiez à Kazan, et voilà que vous débarquez au Palais pendant…
Berissov : On a changé ma destination, je dirige la surveillance du palais…vous devriez me remercier : si vous aviez continué vos manœuvres, elle aurait fini par vous assommer à coups de machine à écrire.
Aleksander : Comment osez-vous…
Berissov : Ce n’était pas discret…hem, écoute, tu vois ce prisonnier ?...on m’a donné l’ordre de le surveiller…si tu restes ici, on risque tous les deux d’être fusillés. Parts, cela vaudra mieux pour nous deux… (plus bas) j’ai fait partie d’une association d’écrivains patronnée par le Czar, je suis en danger de mort, va t’en et n’en parle pas, je t’en prie.
Aleksander : Cette histoire est bancale…
Berissov, le saisissant par le bras : Je t’en supplie ! Tu te souviens de la jolie dactylographe ?
Aleksander : Hem…et alors ?
Berissov : Elle part dans deux jours pour Saint-Pétersbourg, aime les poètes français comme Rimbaud et Baudelaire et aussi Pouchkine, rattrape-la avant qu’elle ne parte…qui vit au Palais en connait les occupants.
Aleksander sort en courant, s’arrête : Au revoir… (il repart)
Berissov : Adieu, petit…qu’est-ce qu’il ne m’a pas fallu inventer pour me débarrasser de lui !

Scène 6-Berissov, Grigori, puis Werkel et Karol

Berissov va vers Grigori
Berissov : Hé…Grigori…
Grigori, encore étourdi: Eh? Quoi?
Berissov: Allons, hâte-toi...je suis Berissov, je viens t’aider à fuir...vite, il ne manque plus que...parbleu! Seulement cinq minutes!
Grigori: Ecoute, Berissov...
Werkel rentre en scène
Werkel: Halte, soldat ! (il dégaine l’épée) Que fais-tu ?!
Berissov, se redressant et sortant son sabre du fourreau: Damné révolutionnaire ! Je vais t’embrocher sur mon sabre!
Werkel: A la gar...
Berissov, se jetant sur lui: Non ! C’est une affaire entre nous deux...mais, tiens! Tu es Werkel, n’est-ce pas– nom de nom ! C’est ce qu’on appelle un coup bas !- Werkel, ancien directeur de l’hôpital de Tbilissi, qui après avoir soigné ses patients par médicaments escompte des résultats meilleurs à coup de manifestes ! Beau travail, je l’admets– ah ! J’esquive aussi ce coup !- mais bientôt l’heure de la vengeance va sonner, pour moi (il désarme Werkel), pour mes amis que vous avez tués (il le jette à terre d’un coup de pied), et pour le Czar ! (il donne un coup de sabre à Werkel).
Werkel: Non ! Touché !
Grigori: On l’avait compris...paix à ton âme.
Werkel: Maudit prêtre... (interrompu par un coup de pied de Berissov) une chose avant de mourir...dites de...attention...Doutes...trahir... (il meurt)
Berissov: Doute ? Quel doute ? Bah ! Laissons-les s’entretuer, ça nous desservira...allons, Grigori.
Grigori: Non.
Berissov: Comment, « non »? Ecoute, dans deux minutes la bombe explosera !
Grigori: Je suis fatigué, Berissov, fatigué...fatigué et vieux comme toi et von Pirontiz...nous n’avons plus notre place dans ce monde qui fonce tête baissée vers un avenir sombre et lointain, nos vies appartiennent au passé : vois-tu, Berissov, le sang de nouveaux morts a déjà nettoyé celui laissé par nos luttes archaïques qui tout doucement sombrent dans l’oubli. J’ai vécu ; maintenant, je veux mourir. Un jour, tu te sentiras toi aussi faible et inutile, et ce jour là ton seul désir sera de quitter la scène doucement comme un vieil acteur las de répéter toujours le même rôle…ce doit être beau de sentir les siècles passer sur notre courte, ô combien infime vie. Berissov, j’ai aimé, j’ai hait ; j’ai cru, espéré et pleuré. Maintenant, mon corps trop ancien n’aspire plus qu’à se reposer dans le sommeil infini de la mort…et à y trouver, peut-être, des vérités plus vraies que celles d’ici bas…mon âme est déjà si proche des cieux…adieu.
Berissov : Grigori ! (il regarde sa montre et se lève) Quarante secondes !
Il court vers la sortie, se cogne sur Karol en train d’entrer
Karol : Dépêche-toi ! Ils arrivent ! Nous n’avons plus qu’une minute 15’’ !
Berissov : Ta montre avance d’une minute…trop tard.
Rideaux, explosion
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trotsky
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MessageSujet: Re: Théâtre   Théâtre Icon_minitimeMar 28 Fév - 20:23

Acte III

Nous nous trouvons devant la gare de l’acte I ; des voyageurs attendent leur train, Boris surveille les valises.

Scène 1-Boris, un moujik, des voyageurs, puis Sijuck

Boris : Train de onze heures…train de onze heures…arrivées et départs divisés par trois ces temps-ci, rationnement denrées et locomotives-tacots. Je n’avais jamais remarqué les passagers mis en évidence par l’absence de la foule…c’est drôle aussi, la foule, on est évidents et cachés, dans la foule, la foule…hier, un vieux militaire à l’uniforme râpée arborant fièrement son honneur intangible plus noble que ses nombreuses médailles…à six heures, ce matin, une femme et ses enfants, où est le père, on ne sait pas, mais il faut aller de l’avant…dans mes pensées le train des desirs part dans le noir…
Sijuck, manifestement ivre, entre en scène en sifflotant un air de Wagner
Sijuck : Canons en batterie ! Pointez l’artillerie ! Feu ! Halte ! A mon commandement, charge !
Boris, lui donnant une claque : Ah ! Ivrogne ! Tait-toi, tu vas te faire ramasser par la garde !
Sijuck : C’est toi celui de la bombe ? C’est toi ! Régicide…vilain, vilain cidérige…rigécide…flûte ! Méchant ! Tu manque de respect à ton Czar !
Boris, à un moujik étonné : C’est Sijuck, le fou…l’ouragan de la révolution l’a poussé jusqu’ici depuis la lointaine Samarkand…
Sijuck : Samarkand ? Qui parle de ma ville ? Oui ! Là-bas, dans les lointaines, vastes plaines kazakhes, j’étais roi, ou bien émir…parce que dans la steppe qui vole comme le vent sur son destrier est noble, et la folie est l’apanage du simple d’esprit comme du sage…j’étais là, à Samarkand…les tapis pourpre et les épices des bazars, les caravanes majestueuses et lentes, la mosquée bleue, un aigle loin près du soleil...aux armes ! Cavalerie en avant ! Tournez donc ces maudits canons ! (il court dans la gare en faisant semblant de charger, pousse quelque cri de guerre, continue à déambuler dans la gare)
Le moujik : Est-il réellement fou ? Par moments il semble presque rationnel, ou bien…poète.
Boris : Et qu’est-ce à ton avis qu’un poète ? Tout simplement un fou suffisamment loin du monde pour le regarder avec lucidité…voilà ce qu’est un poète.

Scène 2-Les mêmes, des soldats, le colonel Dragomir, puis Iossif

Entrent des soldats, dirigés par le colonel Dragomir.
Dragomir : Place ! Place ! Le gouverneur arrive !
Le train passe devant la gare et s’arrête hors du champ de vue des spectateurs
Soldats : En arrière ! Dégagez ! Que personne ne dérange le camarade gouverneur !
Un sergent : Là-bas ! Il sort du dernier wagon !
Tous se tournent vers le point hors-scène
Un caporal, à un autre : Mais on ne voit rien…
Dragomir : Silence troupes ! Le premier qui ouvre sa maudite bouche finit au poteau et je me charge de l’envoyer pourrir au cimetière ! Présentez…armes ! (tous se mettent en rang au garde-à-vous) Votre Excellence ! Le peuple est heureux de vous accueillir dans notre ville, hélas fort abimée par ces damnés Tsaristes ! Ainsi donc, bienvenue !
Iossif, hors-scène : Fort bien, camarade…des nouvelles de l’attentat ?
Dragomir : Suppression du camarade Werkel, de deux soldats, d’une canaille de prêtre clérical, monsieur !
Iossif : D’autres martyrs tombés pour la Révolution, camarades…courage ! Vive la révolte populaire !
Les soldats : Hourra !
Tous sortent en entourant le gouverneur dont on n’aperçoit que le képi, Sijuck suit les soldats en singeant le pas de l’oie

Scène 3-Boris, le moujik, voyageurs, Doutes

Doutes arrive
Doutes, à Boris : Quand arrive le gouverneur ?
Boris : Et bien…il vient de partir, votre Excellence.
Doutes : Damnation ! (il s’assoit sur un banc, à part) Le plan est raté une nouvelle fois…si je veux prendre le pouvoir, je devrais être bien plus efficace…le Pouvoir, le Pouvoir tant désiré ! Il était là…à deux pas de moi…mais non, il s’est enfui…comment éteindre cette soif de sublime qui me dévore ?
Boris : Avez-vous besoin de quelque chose, monseigneur ?
Doutes : Comment ? Non, rien. Allez-vous-en. Vite. Retournez à vos valises. Voilà, c’est bien ainsi. Un moyen…une méthode doit exister : qui s’oppose à moi ? Karnos est aveuglé par son amour-propre et m’adore ; c’est une proie facile. Machkov…lui est bien plus redoutable, mais est-il réellement un bon révolutionnaire ? Il me semble être avant tout un esprit brouillon et amateur de l’anarchie ! Un plan, il me faut un bon plan pour les discréditer auprès du gouverneur et rafler l’essentiel des charges d’importance…un attentat ! Voilà la solution ! Faux mais terriblement réel, un attentat tsariste, explosion, boum ! Plus de Machkov, plus de Karnos ! Après ce qui est arrivé au Palais, cela ne semblera même pas suspect, et le pauvre Doutes, bien que terrassé par la douleur que lui laisse ce tragique évènement et la mort de ses amis et protecteurs, trouvera en lui la force de consoler et rassurer le gouverneur, ainsi que d’organiser dans un louable et magnifique esprit de vengeance une chasse aux terroristes réactionnaire ! Moi, devenu héros de la révolution ! Ha ha ha ! Quelle idée machiavélique ! Il me faut maintenant trouver quelques hommes entreprenants qui matérialisent ce projet…voici le hic. (L’horloge de la gare sonne dix heures et demie) Ha ! Il me faut partir…vous, porte-faix !
Boris : Monseigneur ?
Doutes : Auriez-vous idée d’où l’on peut trouver quelques hommes de main fidèles à la révolution et habiles, pour une œuvre devant assurer la sauvegarde des valeurs de notre combat ?
Boris : C’est pour écrire un manifeste ?
Doutes : Non, tuer un officier tsariste.
Boris : Dans les quartiers du bord de la Volga, ce genre d’individus ne manquent pas, m’as-t-on dit, quoique je n’en connaisse aucun…vous serez mieux renseigné si vous cherchez Piotr Semionovitch, il s’y connait…vous le trouverez sans faute dans les tavernes des bas-fonds, principalement « L’écu du Czar », s’il n’est pas en train de manigancer quelque mauvais coup…
Doutes : Cela suffit ! Merci bien, vous n’avez pas idée du service que vous rendez à la révolution.
Il sort

Scène 4-Les mêmes, puis Karol, Aleksander, Machkov et Dragomir

Boris : Ah ! C’est l’heure du déjeuner. Eh ! Camarade !
Karol, avec des attelles, rentre en scène
Karol : Silence ! Discrétion ! Je suis peut-être déjà recherché. Je dois être mort pour eux.
Boris : Ah, bon, d’accord. Mais c’est l’heure de manger.
Karol : J’arrive…écoute, j’attends sous peu l’arrivée d’invités « de marque »…il faudrait que tu distrais ce moujik qui me semble trop curieux pendant notre entretien. C’est de la plus haute importance.
Boris : Ca va, ça va, je vais le faire, mais il me faut d’abord casser la croute.
Karol, à part : L’ami devrait être ici bientôt…c’est que les traîtres ne manquent pas parmi les officiers de l’armée ! Moi, Karol, obligé de louvoyer entre les différents ennemis de la révolution et de mes idéaux pour sauver la Russie du gouffre dans lequel elle est en train de se précipiter…ici bas on ne manipule jamais les bombes et les automitrailleuses pour faire le mal : l’hypocrisie de la guerre nous montre toujours un monde meilleur à atteindre en tuant les ennemis de notre idéal…la guerre, qu’elle soit entre les Rouges et les Blancs, les Alliés et les Allemands ou les Guelfes et les Gibelins, est toujours la même horreur qui se répète inlassablement dans l’histoire des hommes, sans que l’on sache au juste qui a donné le premier coup...Kazan...ville lointaine près des steppes précédant l’Oural...(Aleksander arrive) de tant de maisons n’est resté que quelque lambeau de mur, oh ma terre natale...Tannenberg...en Prusse...les landes sèches et brunes, des nuages noirs qui viennent du Nord colorant le ciel, les lacs, les rivières...voilà le décor des lacs de Tannenberg...
Aleksander : Leur miroir nacré renvoie sur mes yeux le vol des hérons...et puis tout d’un coup un sifflement et le monde qui se désagrège en un étourdissant fracas...des cris, les troupes qui chargent en vain et sont prises par la panique devant la fureur guerrière des nouveaux Teutons qu’aucun Alexandre Nevsky n’arrête, débâcle des fières troupes du Czar réduites à l’ombre de ce qu’elles avaient été...de tant de personnes qui m’écrivaient, il n’est pas non plus resté grand-chose, mais dans le cœur, aucune croix ne manque...
Karol : ...ce sont nos cœurs les pays les plus déchirés : que maudite soit la guerre...et bien, Aleksander ? Je vois que tu es de retour...depuis combien de temps ne nous voyons nous pas ? Si longtemps hélas...parle-moi un peu de toi, maintenant.
Aleksander : Je suis rentré en Russie discrètement, quand la guerre à commencé, pensant alors devoir défendre ma patrie, et n’ai découvert qu’une inhumaine boucherie, le froid et les privations, l’arrogance des envahisseur victorieux qui aurait été la nôtre si l’on avait triomphé au lieu d’être misérablement écrasés par des forces supérieures...mais auparavant j’ai été en Italie, suivi de près par la police du Czar...c’est le seul pays où ils ont perdu ma trace, et je ne désirais pas quitter l’Europe pour le Nouveau Monde trop lointain de mon pays...
Machkov et Dragomir rentrent
Karol : Ecoute, poète...voici deux de mes camarades qui arrivent...colonel ! Il y a ici l’un de mes amis qui vous parlera d’une extraordinaire façon de ses pérégrinations...ce malin est allé se cacher en Italie pour échapper au Czar, alors que nos dissidents gelaient en Sibérie.
Dragomir : J’ai été là-bas en mission diplomatique du temps de l’armée impériale...beau pays, mais pays-carte postale.
Aleksander : Je ne suis pas d’accord, mon colonel ! C'est-à-dire que je ne le suis pas tout à fait...l’Italie peut paraitre au premier abord un « pays-carte postale », comme vous le dites, une simple attraction pour touristes en mal de nouveautés, mais elle a peut-être un quelque chose d’insondable en plus...l’Italie telle que je l’ai vue est une série de clichés qui doivent être réinterprétés pour être compris, car ils constituent assurément son essence même...pensez à la beauté tranquille des collines toscanes aux courbes douces comme une caresse maternelle, aux pierres brunes pleines à en éclater de soleil, et puis Venise...c’est une ville particulière au point de ne pouvoir être décrite, mais qu’on peut aimer sans paroles vaines. Pour moi, Venise est une part de mon cœur, sa part la plus intime et in accessible...c’est un pétale de glycine flottant sous l’ombre d’un pont, un rayon de soleil effleurant l’or des lions ailés...Venise, c’est un peu comme l’Amour...on y vit et y meurt peut-être comme ailleurs, mais la plus insignifiante des choses y prends des allures majestueuses...
Machkov : Merci, mais nous devons parler d’affaires extrêmement importantes.
Aleksander : Euh...d’accord. Au revoir, mon général, mon colonel. (il va s’asseoir sur un banc)
Karol : Donc, messieurs ?
Machkov : Donc je déplore le sort funeste qui nous a envoyé ce gouverneur. Qu’il soit maudit ! Un arriviste sûr de lui et voulant tout bureaucratiser...un géorgien ! Un ancien bandit de grands chemins ! Et nous autres grands russes devrions nous plier à sa volonté, ramper devant lui pour obtenir de l’avancement ? C’est un âne sadique et démagogue !
Karol : Mon général...les murs ont ici des yeux et des oreilles.
Machkov : Oui, il nous faut être prudent. Colonel ! De combien de troupes disposerions nous en cas de coup d’état ?
Dragomir : Sommes certains d’obtenir participation bataillons rentrées du Caucase mon général, plus flotte de la Volga. Faudra-t-il aller jusque là ?
Karol : La révolution n’admet pas de faiblesses ou de peurs de la part de ses fils...je propose de nous retrouver demain au Palais...j’avertirai les troupes concernées.
Machkov : Parfait...la notre est une grande mission : sauver l’esprit révolutionnaire ! Camarades, il est grand temps de nous en aller. Vive la révolution !
Ils sortent

Scène 5-Les mêmes, puis Tania et Karol

Boris : Le train de onze heures, convois numéro : 10, parti de : Omsk à destination : Sébastopol via Tsaritsyne et Kharkov-sur-le-Don est attendu d’ici peu. Les voyageurs sont priés attendre dans le calme sur les quais.
Tania, portant une valise noire, rentre en scène, suivie peu après de Sijuck
Tania, à Boris : Un billet de deuxième classe pour Sébastopol, s’il vous plait.
Boris : Avec plaisir, mademoiselle. Voilà. Ce seront dix kopecks.
Tania : Voici pour vous.
Aleksander : Bonjour...euh, Tania...
Sijuck, à Aleksander : Toi, là-bas ! Malfaiteur !
Aleksander : Comment ? Moi ?
Sijuck : Ladre ! Pleutre !
Aleksander : Mais enfin monsieur...
Sijuck : Misérable !
Aleksander : ...si vous vouliez m’expliquer ce qui me vaut...
Sijuck : Mais surtout, voleur !
Aleksander : ...un tel traitement...
Sijuck : Le soleil !
Aleksander : Plait-il ? Ah...oui, un nuage est passé devant.
Sijuck : C’est toi qui l’as volé !
Le moujik, à Tania : N’y prenez pas garde, il est un peu fou et ivre aussi.
Tania : A vrai dire c’est l’autre qui m’inquiète... (à part) il a vraiment l’air charmant...et il est si prévenant et gentil...serai-je amoureuse ?
Karol arrive
Karol : Aleksander, nous devons nous retrouver demain à quatre heures au Palais. Je dois te parler d’affaires importantes, et sans public.
Aleksander : D’accord... (montrant Sijuck) sais-tu comment se débarrasser de ce fou ?
Karol : Oui, je m’en occupe, mais en vitesse...bonne chance.
Aleksander : Pourquoi ?
Karol, empoignant Sijuck : La fille avec la valise noire...demain, quatre heures.
Il sort avec Sijuck

Scène 6-Les mêmes

Aleksander, à Tania : Bonjour, euh...comment allez-vous ?
Tania : Bonjour. Vous prenez le train ?
Aleksander : Non. Où allez-vous ?
Tania : Je changerais de courrier à Sébastopol pour me rendre à Saint Petersburg. J’ai commencé à lire ton livre.
Aleksander : Le Stendhal ? Qu’en pensez-v...penses-tu ?
Tania : Il est un peu long mais il est beau.
Aleksander : C’est parce que Stendhal est un peu Italien, ou alors vraiment Italien mais seulement d’âme...vous, euh, tu sais, à mon avis être Italien est plutôt un statut philosophique qu’une nationalité. Je suis Russe...je suis pauvre...mais j’aime l’Italie. Un Italien d’âme a un certain nombre de valeurs-honneur, verve, cœur, esprit bohème- et de défauts si singuliers qu’ils forment à leur tour un nouvel amalgame de valeurs.
Tania : C’est machiavélique.
Aleksander : En effet, puisque c’est italien ! Mais à mes yeux un Italien...de cœur, bien entendu, et donc moi aussi...est surtout un amoureux, et pas un quelconque amateur, mais un amoureux de l’Idéal, de l’Inaccessible. Ca commence en général comme par jeu, on voit passer une belle dactylographe et on rêve, puis en y repensant on sent une douleur exquise dans son cœur et toujours plus souvent l’âme tremble à sa vue...et il est désormais trop tard : on est amoureux, à la folie. Partout où l’on soit, on ne peut pas, ne veut pas oublier les cheveux si courts et si beaux, l’abîme doré de ses yeux, sa nuque claire et gracieuse, les mains si fines, le rire charmant, la voix un peu effacée mais la sienne...je ne sais pas si je suis un Italien, en fait je ne le suis peut-être aucunement et j’ai raconté bien des sottises, je ne sais même pas si je suis Russe, Français, Allemand, réel- dans quel rêve étrange évoluons-nous ?- mais une chose est certaine : je t’aime.
Tania : Moi...je ne sais...depuis le jour de l’attentat, avant-hier, je n’ai cessé de te voir et te rêver et me demander pourquoi j’ai été si désagréable et aujourd’hui je t’ai vu et mon cœur a été transpercé...transpercé...je ne veux pas aimer mais toujours mes pensées se tournent vers toi et te suivent et je souffre...ah, ciel...je ne veux pas et ne peut pas m’en empêcher...on ne commande pas à ses pensées, elles sont immatérielles, surnaturelles, et suivent leurs propres voies qui nous sont inconnues...
Aleksander : Et alors pourquoi résister ? Pourquoi lutter ? Ne pouvons-nous pas nous abandonner à cette passion bouleversante qui dans sa fougue se confond avec la Révolution ?
Tania : Peut-être est-ce parce que nous sommes humains...mais la volonté...
Aleksander : Volonté et humanité existent-ils lorsque l’on aime ?
Tania : C’est impossible, c’est impossible...comment s’aimer lorsque la Mort est si présente ? Plus tard, si nous sommes vivants...
Aleksander : L’Amour est plus fort que la Mort, « omnia vincit amor »...ce sont peut-être des phrases toute faites, mais j’y crois, Tania...je veux avoir aimé avant de mourir, et je n’aimerais que toi.
Entrée du train dans la gare, Boris : Vos bagages, messieurs dames, le train est là, il est là !
Tania : Il me faut partir...
Aleksander : Non...un jour encore...demain, à cinq heures, au Palais, je t’en prie...
Tania : Non, non, je ne puis...
Aleksander : Je t’aime.
Tania : Tu doutes peut-être de mon amour ?
Aleksander : C’est mon dernier rempart contre l’absurde illusion du monde.
Tania : Oh, Aleksander...je dois...le train... (elle va vers la gare, puis se ravise, serrant le bras à Aleksander) je serais là demain...comment te dire combien je t’aime ? Je t’adore, t’adore, t’adore, tellement...au revoir.
Elle sort, rideaux
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MessageSujet: Re: Théâtre   Théâtre Icon_minitimeJeu 1 Mar - 16:41

Acte IV

Nous nous trouvons dans le hall d’entrée du Palais. Il y a deux portes, une de chaque côté de la scène, qui conduisent à l’intérieur, ainsi qu’une sorte de portail au fond conduisant aux appartements du gouverneur.

Scène 1-Doutes, Piotr Semionovitch, des bandits, puis Karnos

Doutes rentre, suivi par des bandits conduits par Piotr Semionovitch
Doutes : Fort bien, camarades ! Réglons le déroulement de l’action.
Piotr Semionovitch : Halte-là ! Il faut reconsidérer nos honoraires.
Doutes : Qu’est-ce que cette histoire, Piotr Semionovitch ? L’affaire était pourtant claire...
Piotr Semionovitch : N’ai-je pas été clair, moi aussi ? La paye ne nous convient plus.
Doutes : On en discutera plus tard.
Piotr Semionovitch : Maintenant ou l’on ne fait rien. Allons ! Sans retards !
Doutes : Après ou je m’adresserais auprès d’autres hommes moins dispendieux.
Piotr Semionovitch : Soit...ils ne sont pas nombreux, pourtant, ceux qui égalent le grand Piotr Semionovitch.
Doutes : Bien rare sont aussi ceux qui atteignent sa formidable modestie...donc : notre objectif est avant tout Machkov, je me chargerais moi-même de Karnos...c’est un niais. Faites attention, dernièrement une sorte de colonel-garde du corps ne cesse d’orbiter autour du général pour on ne sait trop quelle raison. Ici-le hall, scène du crime. Vous- les insaisissables « terroristes réactionnaires », soit les assassins. Ceci-la bombe, arme du crime. Moi- l’ami des malheureux, éploré par un si tragique désastre.
Piotr Semionovitch : Nous avons, comme d’habitude, le rôle des méchants...
Doutes : C’est surement parce que vous êtes méchants...nous sommes méchants...la notion de « mauvais » est très relative et fixée après coup- tardive ; nous ne sommes peut-être pas assez importants pour que l’Histoire nous retienne comme « méchants »...nous sommes la poussière soulevée sur la route par le passage d’un carrosse : au premier coup de vent, nous serons emportés avec nos vices et nos folies.
Piotr Semionovitch, alarmé : J’entends des pas...quelqu’un arrive...vite ! Cachons-nous !
Lui et les bandits sortent par une porte, Karnos rentre par l’autre
Doutes : Bonjour.
Karnos, troublé : Salut, camarade...tu sais, Doutes...j’ai toujours pensé que tu était un brave homme et un vrai révolutionnaire, mais surtout un brave homme...écoute, Doutes. J’ai fait un rêve, hier. Il faisait nuit. La voûte céleste était parsemée de la lointaine lueur des innombrables étoiles. Alentour, un bruissement, une agitation, mais, comme si j’étais aveugle ou prisonnier d’une force inconnue, je demeurais étendu immobile sur la terre humide...et la lune se penchait sur mon visage. Tout d’un coup, une ombre occulte le ciel : serait-ce la Mort ? Non ! C’est l’Ennemi, un amalgame des puissances et des rancœurs qui pèsent sur mes épaules...puis une lumière éblouissante, un Espoir, qui se condensait au dessus de moi jusqu’à une solide sphère de surnaturelle splendeur qui explosa en une apothéose de grandeur...à ce moment le froid manteau de la mort me recouvrit, et dans mon cœur se pressait le sentiment poignant d’une grande trahison à venir...aide-moi, Doutes, je suis en train de ma perdre dans une étrange folie.
Doutes : Quel affreux galimatias ! Il est bien vrai que tu parais fou. Je ne sais quel esprit malicieux s’est emparé de ton esprit, Karnos, tu es en train de nous quitter pour je ne sais quelle fantasque destination...veille à ne pas finir comme Hamlet...ou comme Ubu. Une trahison ? Mais je n’en vois nulle trace, qui pourrait te vouloir du mal ? En as-tu déjà fait, toi ?
Karnos : Peut-être, mais ce sont mes bontés mon pire péché...si je pouvais trouver un réconfort...
Doutes : La folie ne se guérit pas ainsi. D’ailleurs, ainsi que la sottise, elle conduit qui l’a attrapé à sa perte...et tu me demandé de me lier à un navire déjà à moitié coulé ?! Non, Karnos, non. Adieu.
Karnos : Mais...
Doutes : Adieu.
Karnos : Un instant...
Doutes : Adieu, te dis-je. Je sors.
Il sort
Karnos : C’était moi, jusqu’à présent, qui dirigeais le jeu...maintenant, après mon esprit, mes protégés aussi me trahissent...quand s’est produit le grand bouleversement, telle est l’énigme. Suis-je en fait un lâche ? Ah ! Reprenons-nous, voyons, lorsque l’on a une dignité il faut savoir l’endosser avec prestance.
Il sort

Scène 2-Karol et Aleksander, puis Machkov et Dragomir

Karol, encore en béquilles, et Aleksander entrent par la porte d’où est sorti Karnos.
Aleksander, irrité : Et bien ? Me voilà. Quatre heures et demie. Tu as exactement une demi-heure de retard. Parle, mon temps est précieux.
Karol : C’est bon, c’est bon...toute cette précipitation annonce un rendez-vous galant.
Aleksander : Halte ! Dis-moi ce que tu dois dire.
Karol : C’est ta dame qui te met de si méchante humeur ?
Aleksander : Venons-en aux faits, Karol.
Karol : Oh ! Une personne si romantique qui refuse d’entendre parler de son âme sœur...mais c’est lui manquer de respect, camarade ! Ainsi, quand elle n’est plus là, on l’oublie ? On passe sous silence ce si charmant visage, ce corps...
Aleksander : J’ai d’autres choses par la tête, et ne descends pas si bas, Karol. Moi, c’est le cœur que je regarde, pas le corps. Tu ne connais pas la passion. Ce sont simplement les filles qui t’attirent...tu es un homme, et c’est le principe de ta condition. Tu n’as pas le droit à...
Karol : Qui voulait que j’en vinsse aux faits ?
Aleksander : C’est toi qui as commencé...
Entrent Machkov et Dragomir
Machkov : Préparation générale, messieurs ! Tout est établi, tout est inscrit, tout est planifié. Colonel, où sont les listes ?
Dragomir : J’ai jugé plus prudent de les cacher, mon général.
Machkov : Ah, oui, oui, ça va, nous en décidons ainsi.
Karol : Mais qu’arrive-t-il, mon général ?
Machkov : Dites-nous, quel est votre grade ?
Karol et Aleksander, au garde à vous, ensemble : Soldats, mon général !
Machkov : Vous êtes promu capitaine, et vous autre, Karol, lieutenant. Je vous assigne au 3° régiment de cosaques, le mien, donc pas question pour vous de partir au front en Ukraine contre cet infâme baron Wrangel ou en Sibérie contre les Tchèques.
Aleksander : Mais je n’ai jamais chevauché !
Dragomir : Capitaine...
Aleksander : Euh, mes excuses mon général.
Machkov, paternel : Voyons, cela n’a aucune importance, vous avez idée de ce à quoi ressemble un cheval ? Imaginez des bêtes deux fois plus grosses, laides et teigneuses et vous aurez un aperçu de celles que l’on utilise dans notre armée. Voilà. Vous savez tout ce qu’il faut pour monter un destrier, Nevsky.
Aleksander : Aleksander, mon général.
Machkov : Aleksander, Alexandre Nevsky, Eugène Onèguine , c’est du pareil au même. Ne me dérangez pas, je suis aujourd’hui dans une bonne journée. Allons-y, colonel.
Ils sortent
Aleksander : A quoi rime tout cela ?
Karol : Cela signifie que le général est d’humeur accommodante, aujourd’hui.
Aleksander : Etrange, étrange...ce pays n’est pas préparé à un si grand bouleversement. Des hommes comme ce général ou le gouverneur le mènent à sa perte en lui imposant de telles marches forcées vers le progrès. Pauvre Russie ! Il y a quelque chose de pourri en toi.
Karol : Il y a peut-être aussi quelque chose de pourri en nous.
Aleksander : Tu penses réellement cela ? Pas moi, je suis résolument et incorrigiblement un optimiste. C’est peut-être parce que j’aime, ou parce que je suis aimé ; c’est quelque chose de très beau, ça, sais-tu ?
Karol : C’est surtout inutile, en vérité...vous n’êtes qu’une goutte, un grain de sable perdu dans ce monde. Tu es fou et je t’aime bien pour ça. Et elle aussi doit être un peu demeurée pour t’aimer. Et peut-être suis-je également fou. Non, en fait nous sommes tous fous ! Bon, prenons notre mal en patience...cosaques ? Nous sommes cosaques ?
Aleksander : Non, nous sommes un grain de sable dans la machine inébranlable du réel, un fâcheux grain de sable qui pourrait causer bien des dégâts. Mais, pardonne-moi : tu voulais me dire quelque chose, avant.
Karol : Je veux ton avis sur la Révolution.
Aleksander : C’est une noble entreprise qui s’embourbe dans un marécage. Les idéaux que nous défendons sont justes, mais personne n’est suffisamment bon pour les revigorer, les insuffler au peuple. Nous voulons écraser une mouche avec un canon, nos moyens ne justifient pas notre but. Le Pouvoir a fait tourner la tête à tout le monde, c’est un dieu cruel qui exige des sacrifices.
Karol : Et le gouverneur est l’un de ceux qui l’idolâtrent le plus.
Aleksander : Le gouverneur ? Iossif Vissarianovitch ?
Karol : C’est une personne mauvaise, cruelle, ambitieuse, un abominable monstre, un suceur de sang. Le général Machkov a décidé de renverser sa dictature. On ne peut pas laisser vivre tyran d’opérette si méprisable, un tel...un tel...enfin, un homme inhumain. Nous allons nous révolter, Aleksander, nous révolter et trucider tous ceux qui s’opposeront à leur libération.
Aleksander : Et c’est ainsi que vous libérez ? En tuant ? En torturant ? Vous versez d’amères larmes pliés sous un joug pesant et voulez en le renversant écraser qui le soutenait avec vous ? Vous remplacez le fer des chaînes par celui du sabre ? Jamais les chefs, à Moscou, ne vous laisserons faire ça, Trotsky, Zinoviev, Boukharine, tous s’accorderont pour vous punir sauvagement. Je ne te parle pas en lâche mais en ami : votre action sera inutile.
Karol : Soit : après tout, je te laissais le choix...mais ne t’oppose pas à nous si tu tiens à ta vie : j’ai de l’influence dans divers milieux, mais...stop. Nous n’avons plus rien à nous dire. Au revoir, je donnerais des ordres pour qu’ils vous épargnent.
Aleksander : Mourir ? Rien de bien grave, c’est naitre à l’envers. D’ailleurs, c’est si banal depuis la Révolution que c’en est devenu presque une formalité. En tout cas, moi et Elle mourrons ensemble...la main dans la main.
Karol : A ton aise. Je pars. Tu me reverrais victorieux ou pendu.
Aleksander : C’est moi qui pars le premier. Pour ma part, quel que soit l’endroit où tu me reverras, je serais encore amoureux.
Il sort

Scène 3-Karol, Doutes, Piotr Semionovitch, les bandits, puis un soldat

Doutes et les bandits rentrent rapidement et s’emparent de Karol
Doutes : Ah, ainsi tu espérais trahir ? Damné réactionnaire, misérable va-t-en guerre, cette fois nous avons été les plus forts, et tu ne commettras aucun crime.
Karol : Crime ? Complot ? Quel complot ? Je ne suis pas ennemi de la révolution, messieurs, et ceci peut vous être assuré par mon respectable général Machkov. Marx, Marx ! Je connais les textes, je suis fidèle ! Je connais tout, honorable monsieur. (A part) soyons lâche et sauvons nous, il y a en jeu des mises plus importantes que mon honneur. (Fort) Mais qui sont ces gens ?! Pas des révolutionnaires, non monsieur ! Ce sont des bandits, des détrousseurs !
Piotr Semionovitch : Silence ! Ici il n’y a pas de bandits, mais des gentils et des méchants !
Un brigand : Oui, et nous c’est les méchants donc si tu proteste on te fend le crâne, ha ha!
Doutes : Ferme-la, triple sot ! Nous disions, mon cher petit soldat...
Karol : Lieutenant, monsieur : ne me dégradez pas déjà...
Doutes : ah, euh, c’est ça, mais dites-moi donc, lieutenant, comment pourrais-je croire votre protecteur, sachant qu’il est aussi traitre et corrompu que vous ? Machkov est aussi un ennemi de la Patrie.
Karol : La Patrie est un concept bourgeois inventé par l’élite capitaliste afin que les peuples s’entre-tuent !
Doutes, ironique : Comme monsieur le voudra...qu’y puis-je si vous n’aimez pas la Russie ? C’est à notre bien-aimé gouverneur qu’il vous faudra l’expliquer...c’est d’ailleurs très, très dommage parce qu’il est lui plutôt amateur du concept de patrie. La révolution dans un seul pays, mais dans le plus beau...emmenez cet énergumène, et ne l’abimez pas trop, il peut encore m’être utile...
Karol, emporté par les bandits : Mort aux démagogues ! La cause révolutionnaire triomphera !
Doutes : Emportez également les béquilles de monsieur...
Rires de la troupe, Karol est sorti par la porte d’où sont entrés les brigands. Après un bref instant, un planton entre.
Soldat : Le gouverneur désire s’enquérir de la cause de tout ce remue-ménage.
Doutes : Tiens, justement, je désire, moi, lui parler...et ce dans les plus brefs délais. Demandez-lui de venir, précisez que c’est une question de vie ou de mort et qu’il en va de la révolution.
Soldat : A vos ordres !
Il sort en courant

Scène 4-Doutes, puis le gouverneur

Doutes, à Piotr : Sortez surveiller vos hommes... (Piotr Semionovitch sort) voilà qui arrange remarquablement la situation, si sombre au commencement. Machkov vient de perdre son principal agent de liaison avec les troupes. Karnos...ah, tais-toi, conscience, tais-toi, plus personne ne compte pour moi maintenant, il faut un cœur d’airain pour résister à ce monde qui désire nous broyer dans de puissantes mâchoires...seul le Pouvoir me dompte encore, tous le reste est loin derrière moi, je ne connais plus la pitié, que ce soit pour moi ou pour les autres, je suis devenu dur...il n’y a que les durs qui survivent, et s’ils sont aussi méchants ils ont la possibilité de vivre pour de bon...
La porte du fond est ouverte progressivement par un aide de camps qui se retire lorsque l’on voit le gouverneur, assis à son bureau de travail, de dos
Iossif Vissarianovitch : Me voici.
Doutes : Ah ? Comment ? Oh, ciel ! Veuillez m’excuser, illustrissime ! Je ne vous avais pas remarqué.
Iossif Vissarianovitch : Je suis peut-être trop chétif, mal charpenté, pour être vu ? Je suis si insignifiant ? Ne vous gênez pas, exprimez votre pensée.
Doutes : Oh, mais non excellence, pas du tout, quelle idée ! J’étais juste absorbé par mes pensées !
Iossif Vissarianovitch : Ainsi donc mes lieutenants sont des têtes en l’air enfermés parmi les machinations qui s’entrechoquent derrière leur crâne ?
Doutes, exaspéré : Absolument pas ! Je ne vous ai pas fait mander ici pour avoir un dialogue si burlesque ! Disposez de moi, illustrissime, fusillez-moi, jetez-moi au cachot si vous en avez envie...mais vous finirez par le regretter, et quand cette affaire aura lieu vous penserez : « Mais pourquoi n’ai-je pas écouté Doutes ce jour là ? »...oui, vous pourriez le regretter lorsque l’affaire se déclenchera.
Iossif Vissarianovitch : Tiens...une sombre affaire se prépare contre moi ? Mais c’est en effet regrettable monsieur...Doutes ? C’est un surnom ?
Doutes : C’est un surnom, en effet, que l’on m’a affublé au goulag, en Sibérie...
Iossif Vissarianovitch : J’ai moi aussi reçu un surnom en déportation, mais un bien plus imposant surnom, dû à mon exceptionnelle endurance et à mon caractère de fer...de fer...l’« homme de fer »...j’aime les hommes énergique, sincères, mais surtout loyaux, camarade, et il me semble que vous êtes de ceux-là, raison pour laquelle je cesse de vous tourmenter et attends votre discours.
Doutes : Que Lénine vous en rende grâce, excellence, il est heureux qu’il ait de tels collaborateurs...hélas, tous ne sont pas aussi fidèles que vous ! Certains s’apprêtent même à renverser d’horrible façon son dur travail...quelle menace pèse sur vous !
Iossif Vissarianovitch : Une menace ? Sur moi ?
Doutes : Oui, votre âme trop noble ne pouvait pas la déceler, parce que ces traitres infâmes comptent au rang de vos proches, que dis-je, de vos amis ! Ainsi ces vipères se sont repues de votre générosité, tout en sachant qu’au moment voulu elles vous étrangleraient ! Je tremble à l’idée de vous avouer pareille ignominie...
Iossif Vissarianovitch, légèrement retourné, attentif : Comment ? Quoi donc ? Mais parlez, enfin, parlez ! Etes-vous devenu muet ?
Doutes : C’est l’horreur du crime qui étouffe mes mots...Machkov, excellence, Machkov lui-même, cet illustre général, a été attiré par l’argent de l’ennemi, et va vous renverser si d’une main sévère vous ne mettez frein à ses prétentions !
Iossif Vissarianovitch : Ah ! Damnation ! Mais d’où tenez-vous cela ?
Doutes : De mes propres oreilles, hélas ! J’ai par inadvertance entendu le général préparer l’acte avec le colonel Dragomir et le lieutenant Karol, ils ont l’intention de lancer le 3° régiment de cosaques sur le Palais ! Ils n’auront aucune pitié, ces sauvages !
Iossif Vissarianovitch : Ah, non, cela se passera autrement...la situation n’est pas difficile à renverser à notre avantage : je vous charge d’éliminer Machkov ; pour ma part, je m’occuperais du régiment de cosaques... (il griffonne quelques mots sur une feuille) ceci, c’est un ordre de mission pour ces insubordonnés : ils partiront dès demain sur le front sud, là où sont plus durs les combats contre Blancs et Polonais. Ainsi le pronunciamiento est évité ! (il se retourne, va vers Doutes ; son visage présente une similitude déconcertante avec celui de Staline) Camarade, je suis fier de vous, et les bienfaits que l’on me rend sont toujours récompensés...je me souviendrais de vous à Moscou, parce que je sens que nous sommes l’un et l’autre des ambitieux...oui, c’est un allié comme vous qu’il me faut : le pouvoir suprême n’est pas loin, Doutes...
Il lui donne l’ordre de mission et part. L’aide de camp referme la porte

Scène 5-Le même, puis Ivassov, Karnos, Machkov, Dragomir, les gardes et les brigands

Ivassov entre
Doutes : Aa ! Justement, Ivassov, c’est bien de vous et de vos services que j’ai besoin maintenant, pour remplir une mission d’une importance capitale.
Ivassov : La Mort est toujours importante, monsieur.
Doutes : Ne discute pas avec moi.
Ivassov : Je pourrais être demain devant votre peloton d’exécution, comme vous pourriez être accroché à mon gibet...
Doutes : Vous avez de la répartie ? Intéressant. Ce que je voulais dire, c’est que cette fois-ci ta patronne aura des clients d’un autre acabit...allons ! Attendons un instant, dissimulé par ces tentures : ils passeront nécessairement par ici.
Ils se cachent, brève pause, puis Karnos, Machkov et le colonel Dragomir rentrent
Karnos :...non, non, on ne peut pas procéder ainsi. Après tout, il n’est pas tel que tu le décris, le gouverneur...et puis, Doutes est une brave personne.
Machkov : C’est une brave personne, l’homme qui ne répugne pas à planter un poignard dans le dos de ses camarades ? Celui qui monte en rampant l’échelle de la société à force de mensonges et de parjure ? Celui qui embrasse pour mieux étouffer ?
Karnos : Mais Doutes n’est pas cet homme, il est meilleur...je ne le connais que peu- comment connaitre quelqu’un quand l’on est pour soi-même un mystère- et je suis convaincu qu’il ait une âme noble : l’or ne brille pas toujours.
Machkov : Et tous les cailloux ne renferment pas des diamants. Il faut écraser les aspics, et ce dès leur naissance ; nous n’avons que trop tardé, et ne devons pas permettre que nos plans soient contrecarrés. Colonel, trouvez le lieutenant Karol et donnez le signal...même Néron, trahit par son armée, a du céder sa vie : pourquoi cet infâme résisterait-il ?
Doutes, se montrant : Parce qu’il a des serviteurs fidèles, Machkov. Ici, le seul traître que je vois c’est toi. Piotr ! Compagnons ! Gardes, gardes ! A l’attaque ! Je les veux vivants !
Les bandits font irruption, Piotr se jette sur Dragomir et le tue, mêlée générale, les gardes arrivent
Machkov : A moi ! Colonel ! Karnos ! Cosaques ! Tous aux armes !
Doutes : A la garde ! A la garde ! Il y a une rixe, un coup d’état !
Un sergent : Mais lesquels sont nos ennemis ?
Doutes : Regardez, il faut éliminer ces bandits qui se sont introduits dans le Palais pour aider le général à perpétrer un coup d’état !
Le sergent : Le général ? Machkov ?
Doutes : Le temps presse, sergent ! Capturez Karnos et Machkov, tuez les autres.
Le combat continue, Karnos et Machkov sont capturés malgré leur résistance, tous les bandits meurent sauf Piotr qui reste debout, blessé
Piotr Semionovitch : Qu’est-ce que cette histoire ? Trahison ! Les accords étaient différents...que tu sois maudit, chien enragé ! Le diable en personne te trainera en Enfer pour y griller avec moi !
Doutes, le poignardant : Et bien, vas tout de suite l’avertir de ma venue, mendiant ! Ivassov, sortez de là.
Ivassov : Pourquoi ce carnage, monsieur ?
Doutes : Ne réfléchissez pas, par pitié ! Occupez vous plutôt de décapiter ces deux prisonniers, à la hache, et que leur têtes soient pendues aux portes de la ville, afin que tous sachent ce qu’il en coûte de perturber l’ordre révolutionnaire.
Machkov, poussant les gardes qui le retenaient, avec rage : Je t’étranglerais avant de mourir, misérable !
Coup de fusil, il tombe, mort
Karnos : Comment as-tu pu devenir ainsi, Doutes ? Es-tu réellement mauvais ?
Doutes : Non, je suis seulement plus efficace que vous, pauvres naïfs entrainés par la Révolution. Emmenez-le et tuez-le...lavez ce massacre...tiens, non : je veux que nul n’ait connaissance de l’évènement, si quelqu’un a entendu le bruit qu’on invente une excuse.
Karnos, avant d’être emmené : Que ma bénédiction soit la plus lourde de tes chaînes, Doutes.
Doutes : C’est ça, vas-t-en, vas-t-en, sortez ! (ils partent, les autres débarrassent le hall) Oui, effacez toutes les traces de leur éphémère existence, détruisez tout, brûlez leurs textes, emprisonnez leurs parents, truquez les photos...voici le secret du pouvoir : modifier la réalité...si même quelqu’un existait au-dessus de tout cela, un Dieu, un Destin, leurs capacités sont ridicules par rapport à l’étendue de mes pouvoirs, car je peux effacer, oui, supprimer leur existence, si seulement je le désirais...mes volontés sont la matrice de ce monde.
Il sort, en quelques minutes les gardes ont terminé de nettoyer la pièce, ils sortent ; un aide de camps entre, colle un manifeste sur la porte du fond et repart

Scène 6-Tania et Aleksander

Aleksander rentre
Aleksander : Bizarre...pourtant, c’est d’ici que provenait cette infernale tintamarre, fusillade, tintements de lames...ils disent que c’est un entrainement qui a dégénéré en altercation...Karol a disparu...mais Tania arrive bientôt. Un manifeste ? C’est nouveau...voyons, ordre de mission...cosaques...Ukraine...minuit...ah ! Comment est-ce possible ?!
Tania entre
Tania : Aleksander ?
Aleksander : Me voici...je t’attendais... (à part) comment lui l’annoncer?
Tania : Nous ne nous sommes pas entretenus bien longtemps, hier...et après je n’ai cessé de penser à toi...m’aimes-tu ?
Aleksander : Oui, immensément, passionnément...ce ne sont que des mots, mais tu sais combien ils sont sincères.
Tania : C’est peut-être un peu...fou, de te la demander sans cesse, mais j’aime tant que tu me le dises, à chaque fois je sens le charme de la nouveauté intarissable...
Aleksander : Hélas...
Tania : Quelque chose se prépare.
Aleksander : Quelque chose ?
Tania : Un évènement grave, triste, terrible, il a peut-être déjà eu lieu, ou alors il est imminent, mais c’est un bouleversement sans pareils qui va s’abattre sur nous...l’air vibre d’une tension nouvelle.
Aleksander : C’est parce que la mort a trop d’influence ici, tous se plient devant cette vieille mégère oppressante qui envahit notre Russie...
Tania : Demain...
Aleksander : Arrête-toi. Demain...je ne sais au juste comment le dire...demain...je suis, Tania, un poète, un gracieux fol perdu dans des cieux trop hauts, ou trop lointains de l’infini, mes sentiments je ne sais pas réellement les exprimer de vive voix, peut-être en les écrivant...écoute-moi, je parlerais maintenant pour Toi, pour Toi seule, ne l’oublie pas, j’inventerais une idée, sans rimes, mal mise ne alexandrins, certes, mais essaye de sentir l’émotion, la passion qui fait trembler ces faibles vers...
Les courbes...les courbes courtes de ta belle chevelure
Aux reflets dorés, charmante texture
Ferment et transpercent les habituelles peurs
Qui blessent le sommeil tardif de mon cœur
Lorsque la nuit penchée sur nos futiles espoirs
Couvre de sa noire soie le monde illusoire
Seuls ton visage et ton rire ô si...charmant
Brille dans cet univers aux confins étouffants
Aimer, te voir, rêver et me taire hélas
Fantômes brisant un esprit égaré
Peut-être...folie, pitoyable et risible
En fait fuite loin d’un réel trop lassant.
Dans tes yeux, tes mains, tes lèvres à la fine courbe,
Je cherche l’idéal caché par...par le rêve des hommes.
Tania : C’est...cela ressemble trop à un adieu...que me caches-tu ? Tu n’étais pas si sombre, avant, si...perdu...parle. Tout de suite.
Aleksander : Oui, c’est un adieu, c’est un adieu malheureusement...demain mon régiment part pour l’Ukraine, contre l’armée polonaise. Ne...ne m’oublie pas, mais essaye de te souvenir de moi comme d’une flamme...
Tania : une flamme qui a parcouru un bref, si bref instant, hélas, de ma vie et qui a brulé mes larmes et mes espoirs...ne te caches plus derrière la poésie, Aleksander. Tiens-tu à ta patrie plus qu’à moi ?
Aleksander : Cela n’a rien à voir avec ça, les ordres viennent de bien plus haut. Je ne tiens plus à rien, si ce n’est à Ton amour, à Toi, à une mort honorable.
Tania : Dois-je comprendre que la Mort est ma rivale, dans ton cœur ?
Aleksander : Je t’aime. (Il l’embrasse sur le front) Ceci est mon premier, mon dernier baiser...tu garderas de moi cet unique papillon voletant sur ton front...ne le chasse pas, je t’en conjure, mais ne pleure pas non plus sur cet amour printanier qui doit être une joie et non un désespoir...
Tania : C’est désormais l’hiver dans mon cœur...emmène-moi à la maison.
Aleksander : Tu penses être prête ?
Tania : Etre prête à tout perdre, est-ce possible ? Non...mais je resterais forte, imperturbable...mourrais-je sans toi ?
Aleksander : Ne le fais pas, parce que si cela dois arriver nous serons à nouveau réunis...la mort ne nous séparera pas avant une dernière étreinte. Viens...je suis un cosaque, désormais.
Ils sortent, rideaux
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trotsky
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MessageSujet: Re: Théâtre   Théâtre Icon_minitimeVen 2 Mar - 18:41

Acte V

Nous sommes dans un campement près de la frontière polonaise. Crépuscule. Sont présent Aleksander et cinq soldats ; deux montent la garde, deux se reposent, le dernier cuisine. On entend des chevaux situés derrière la scène, ainsi qu’un fleuve en train de couler.

Scène 1-Aleksander, cosaques, Karol et Sijuck

Karol et des soldats rentrent, soutenant Sijuck
Aleksander : Avez-vous réussi ? C’est la première fois que les Polonais se poussent jusqu’à nos camps pour voler les vivres...la faim et l’orgueil les rendent féroces. Nous allons peut-être gagner. La frontière est à un tir de cailloux désormais...mais qu’est-il arrivé ? Vous avez eu un accrochage sérieux ? Ah ! Un blessé !
Karol : Nous l’avons récupéré dans le camp polonais...nous avons poursuivi leurs pillards jusque là-bas, sais-tu. Lui était prisonnier, et ils s’apprêtaient à le pendre lorsque nous sommes arrivés. On tire des rafales de balles, dégaine les épées assène quelque coups de trique et voilà tout ce petit monde qui s’éparpille...mais un tireur embusqué parmi les arbres de la rive l’a touché.
Un cosaque : Qui peut-il bien être, capitaine ?
Aleksander : Je n’en sais rien, Igor...pourtant ses traits ne me sont pas inconnus, je dois l’avoir rencontré quelque part, en tout cas pas pendant la campagne, avant, il y a si longtemps, à Tsaritsyne...mais oui, je le connais, je l’ai connu ! Qui est-il ?
Karol : Allons cosaques, allons cosaques, montrez-nous qu’outre le courage vous avez aussi un peu de bonté, aidez moi à soigner ce pauvre mourant. Il ne doit plus lui rester longtemps à vivre, il serait cas de nous dépêcher de l’identifier.
Aleksander, soutenant Sijuck : Debout, hé, réveille-toi camarade...
Sijuck, faiblement : La steppe...
Un deuxième cosaque : Il parle ! Silence tout le monde !
Sijuck :...rendez-moi la steppe, rendez-moi les longues tiges d’herbe aux senteurs d’absinthe, je veux le ciel bleu sans limites, pourquoi toute cette fumée ? Donnez-moi un cheval, je veux sentir le vent dans mes cheveux, je veux étreindre et serrer déchirer mordre aimer la vie...
Karol : Quelqu’un m’a déjà parlé d’un amant de la steppe, c’était Boris, à la gare, mais c’est une autre histoire...parle, ami, ne t’interromps pas.
Sijuck : Quoi ? Qui m’appelle ami ? Parle, c’est un ordre ? Les grands esprits nous envoient par les songes leurs volontés, mais ce rêve-ci ne se termine pas et les montagnes se referment alentour et la steppe disparait dans des limites étouffantes, puis le train, courir, courir, toujours plus vite, les coupoles dorées de Samarkand s’évanouissent, la steppe file le long de la voie, l’adieu de l’aigle...bouzkachi, rude jeu des cavaliers kazakhes, depuis des temps si reculés pratiqué d’ici au lointain royaume afghan...
Un infirmier : Il est en train de délirer. Ses paroles ne sont plus cohérentes. Je ne puis pas vous assurer que ce soient ses souvenirs qui resurgissent et non un cauchemar qui le tourmente au bord de la tombe.
Aleksander : Les cauchemars ne vous poursuivent plus lorsque l’on est si près d’eux, ceci est le rêve de sa vie aussi illusoire que les nôtres...son âme en proie à la fièvre recueille les images de la grande Steppe du Passé et de l’Avenir pour le préparer à la vérité.
Sijuck, se redressant et montrant le soleil : Le soleil...
Aleksander : Le soleil ?
Sijuck, se levant, exalté : Tu nous as rendu le soleil !
Karol : Sijuck !
Aleksander : Le fou !
Sijuck, faiblissant à nouveau : Chevaucher, maintenant, chevaucher vers le soleil, courir, fuir vite, vite, vite ! Fuir enfin, quitter le monde, retourner à la steppe, loin, loin des tirailleurs et des cavaliers, vaincre un dernier défi contre la fatalité...un cheval !
Il court, passe derrière la scène, attrape un cheval et part à bride abattue en poussant un cri ininterrompu, fusillade, silence
Aleksander : Il a atteint sa steppe...il nous montre le chemin !

Scène 2-Les mêmes, puis Doutes et des gardes

Doutes arrive, majestueux, vêtu de l’uniforme de maréchal, suivi de deux gardes
Doutes : Ah ! Mon régiment favori, celui qui hérite constamment par mon bon plaisir des tâches les plus honorables, hé hé hé...que signifient ces fusillades ? Vous êtes encore vivants ? J’aurais dû m’y attendre...bien, bien, vous serez bientôt pardonnés, nous sommes sur la route de Varsovie.
Karol : Pourquoi nous avoir fait charger ainsi, sur la plaine de Minsk ? Notre régiment a été cruellement décimé sans avoir atteint d’importants objectifs stratégiques.
Doutes : Vous refusez d’admettre ? Ciel, que cela peut être lassant ! Tu as comploté contre moi et la Révolution avec Karnos et Machkov. Le général a admis et dénoncé tout le monde avant de périr pour expier sa lâche révolte.
Karol : Dénoncé...tous ?
Doutes : Exactement, absolument tout le monde.
Karol : Dans ce cas vous devriez savoir que je n’ai pas comploté contre le gouverneur !
Doutes : Diantre ! C’en est trop ! Tu es tenace, mais ton acharnement à persister dans l’erreur vacille...j’ai mes preuves. En attendant, je tiens à vous communiquer deux nouvelles, une mauvaise et une très mauvaise. Par laquelle ai-je envie de commencer ? La mauvaise. J’ai été promu maréchal.
Aleksander, aux cosaques, à part : Pourquoi tiennent-ils tant à s’attacher un tel incapable ?
Doutes : Cessez vos bavardages, je disserte ! Si je vous envoie, messieurs, dans les combats les plus durs, c’est parce que vous êtes un ramassis de sauvages et de traitres. M’entendez-vous tous ? C’est à cause de votre parjure de lieutenant que vos camarades sont morts et que vous périrez !
Karol : La liberté coûte fort cher, il faut soit se résigner à vivre sans elle soit se décider à payer son prix, camarades ! Nous cherchons la liberté, maréchal, avec toute la conviction de qui a appris à mourir pour elle.
Doutes : Tu es le seul ici.
Karol : Non, je suis le premier.
Doutes : Tu es comme le renard de la fable, qui, voyant que le raisin était trop haut pour lui, « ils sont trop verts, dit-il, et bons pour les goujats ».
Aleksander : « Ne fit-il pas mieux que de s’en plaindre ? »
Doutes : Silence ! Ainsi vous répondez ? Bien, très, très bien...nos colonnes motorisées doivent passer le Niémen demain, mais les Polonais ont miné tous les ponts. Votre régiment attaquera leurs têtes de pont sur cette rive-ci, pendant que nous fabriquerons des ponts flottants en aval.
Un cosaque : Mais c’est du suicide !
Doutes : J’espère bien. Vous seriez des diables si vous surviviez !
Il sort

Scène 3-Les mêmes

Karol : Camarades, il nous reste à peine quelques heures à vivre, mais nous allons bien les vivre...sortez le vin caché dans les havresacs ! Allumez un bon feu pour y rôtir quelques pièces de viande ! J’offre le dessert ! (les cosaques s’activent) Je prépare mon testament, Aleksander...ça sera amusant : je te nomme notaire.
Aleksander : Certaines affaires ne se prennent pas à la légère, Karol.
Karol : Alors commence, donne-moi l’exemple.
Aleksander : Je n’ai pas besoin de consigner mes dernières volontés ; quelqu’un m’attend. Mon agenda est trop chargé pour le moment, la mort devra attendre que je lui fixe un rendez-vous.
Karol : Moi, je l’ai dégoûtée, elle ne me veut plus. Aurais-je été plus fort que toi ? Allons, ne crois pas échapper au testament.
Aleksander : Bon, c’est toi qui me l’as demandé...mais que puis-je offrir ? Mon cheval ? C’est Sijuck qui l’a pris. Je le laisse aux Polonais, si tant est qu’ils arrivent à dompter cette vilaine rosse. Mon épée, tu peux la prendre. Ainsi, tu te souviendras de moi et de toutes les batailles et de tous les morts- les vivants, aussi- que nous avons vus. Tu partageras ma ration de vodka avec les autres. La photographie de Tania restera sur mon cœur. Mon amour, je le lègue à toi, à tous, pour rendre un peu meilleur ce monde froid...non, je n’en peux plus, il me suffit de me souvenir de son image pour en être tourmenté. Laisse-moi tranquille, Karol.
Karol : Tu l’aimes encore ? Après tout ce temps ? Serait-ce sérieux ?
Aleksander : Il me semble parfois qu’elle est là, si proche, je veux me lever pour la serrer entre mes bras mais je reste cloué à terre...quand nous nous sommes arrêtés à Kiev, dans l’auberge, elle était assise sur le bord de mon lit et elle a parlé longtemps, longtemps, de la guerre, de nous deux, des livres qu’elle a lus, de l’avenir, j’avais la fièvre et elle a posé sa main sur mon front et je me suis endormi. Maintenant elle est plus floue...plus lointaine...
Karol : C’est ton amour qui la retient encore sur ce monde...
Aleksander : Sur ce monde ? Que veux-tu dire ?
Karol : Ah, non, c’était une métaphore, j’essaie d’exprimer le fait que votre dernière rencontre appartient à un univers déjà effacé.
Aleksander : Tu n’as pas tort. J’ai toujours eu cette étrange impression que nous nous déplaçons dans un cadre, un décor, que des êtres plus grands que nous observent nos pitoyables évolutions en s’étranglant de rire sans savoir que d’autres au-dessus d’eux...et quand j’essaie d’imaginer un Suprême qui régit tout cela j’étouffe comme quelqu’un qui se pencherait au-dessus de l’abîme de l’infini...ce monde est un mensonge. Mais nous sommes des hommes...Aleksander, homme de peine, il te suffit d’une illusion pour reprendre espoir.
Karol : Regarde le soir tomber : là-haut reluit une première étoile.
Aleksander : Les fables reprennent à luire là-haut. Elles tomberont avec les feuilles au premier coup de vent...mais que vienne un autre souffle, un nouvel éclat resplendira.

Scène 4-Les mêmes, un officier

Un officier arrive. Ses habits sont en piètre état, il a des blessures mal bandées.
Karol : Salut, camarade ! Quel bon vent vous amène ?
Officier : Pas si bon, hélas !
Karol : Pire que maintenant ? J’en doute...prenez donc un verre de vin, camarade.
Infirmier : Vous êtes blessé ! Il faut ajuster ces pansements !
Officier : C’est avec plaisir que j’accepte votre offre, lieutenant, car vous n’avez pas idée de ce à quoi j’ai échappé...le maréchal devait aller prendre ses ordres au quartier-général.
Karol : Le maréchal Doutes, évidemment.
Officier : Tout à fait, lieutenant. Il prit donc la route avec une escorte réduite, vingt-cinq hommes dont j’avais le commandement. Nous devions nous rendre à cette tour délabrée, que vous apercevez peut-être là-bas.
Aleksander : Et en quoi cela est-il un mal ?
Officier : Attendez, attendez, il me faut conclure...le vent murmurait entre les saules de la rive. Le soleil commença à descendre...lorsqu’il eut atteint les collines, de tous les côtés nous tombèrent dessus des hurlements, des coups de fusil : une embuscade polonaise ! On tente de résister, mais ils sont bien trop nombreux, pour un soldat tué cinq autres surgissent...bref, nous étions submergés. J’ai ensuite entendu un cri, et j’ai vu le maréchal s’affaisser sur sa selle puis tomber...nous avions perdu. Ils m’ont épargné pour que je vous apporte la nouvelle.
Karol : Tu n’as pas idée du poids que tu enlèves de mon cœur, camarade. La charge ne se fera donc pas ?
Officier : J’ai mes ordres. Ceci est pour vous.
Il sort
Karol : Ordre de mission...damnation ! Que le ciel, couvercle de ce misérable monde, s’écroule sur nous pauvres pantins ! Lis, Aleksander, lis ! Nous devons, en profitant de l’obscurité, attaquer immédiatement le camp polonais. Bah ! Calmons-nous...
Aleksander : Elle ne me semble pas dégoûtée, ta mort. Il est encore temps de lui déclarer ta flamme.
Karol : Pfui ! Cette ennuyeuse voisine commence réellement à se comporter comme une prima donna capricieuse. Cosaques ! Remballez tout ! Nous allons charger sur le champ ! Aleksander, surveille le bivouac.
Aleksander : Et vous laisser partir tout seuls ? Rester ici sans un ami pour attendre une fin longue à venir ? Jamais ! Je refuse. J’ai envie de charger avec vous, d’être un des héros inconnus de cette guerre, je viendrai avec vous.
Karol : Si tu me suis je te renverrai et si tu insistes j’irai jusqu’à t’attacher au mât. Je suis ton supérieur hiérarchique, après tout.
Aleksander : Mais oui, bravo, adieu. Veux-tu me priver de tout ?
Karol : Pour le peu qui te reste...si tu ne nous suis pas je te donnerai la dernière lettre de Tania.
Aleksander : Quoi !
Karol : Elle est arrivée ce matin...êtes-vous prêts, les gars ?
Cosaques : Hélas, oui !
Karol, à Aleksander : Prends-la. Lis-la. Souffre. Je reviendrai.
Il sort

Scène 5-Aleksander et les cosaques

Les cosaques, l’un après l’autre : Au revoir...adieu...
Aleksander : Ce n’est pas un adieu, nous allons bientôt nous revoir.
Premier cosaque : En enfer, capitaine !
Deuxième cosaque : Avez-vous écrit quelque chose d’autre, capitaine, dans l’éventualité d’un adieu ?
Aleksander : Non, mais exceptionnellement je peux vous composer un petit quelque chose.
Premier cosaque : Allons donc ! Il ne nous reste plus longtemps. Autant vous avoir écouté une dernière fois, n’est-ce pas ?
Aleksander : Poème ?
Infirmier : Non, les rimes sont une sottise si ce n’est Pouchkine qui les fait. D’ailleurs, ce serait donner des perles aux cochons !
Aleksander : Voyons infirmier, vous en faites un peu trop...quel thème ?
Premier cosaque : Octobre...la Révolution, parlez-nous de la Révolution dans la grande ville. Il ne nous est arrivé que quelque faible écho dans nos campagnes.
Aleksander : Octobre ? Octobre...rouge...oui, disons rouge. Je vous parlerais de l’« octobre rouge »- c’est le titre :
Foule moutonnière de la Grande Steppe,
Aux armes !
L’heure de la Révolution a sonné !
Fusil à la main, fleur au fusil,
Ouvrez-le feu !
Pour triompher des limites humaines !
Moujiks, Ouvriers, cosaques,
Ensemble !
Réunis bientôt par la mort et la gloire !
Ames éblouies par la grandeur de la cause,
Paix pour vous !
Bientôt, une balle au cœur, pantins brisés sur la neige de Russie
Les orbites noires de vos yeux se fermeront
Sur le bord de l’abîme.
Karol : Tous à cheval !
Les cosaques sortent en courant

Scène 6

Infirmier : Il me faut préparer mon matériel.
Il sort
Aleksander : Donc, cette lettre...ah ! Il l’a déjà ouverte ! Cher...mon cher Aleksander...pardonne-moi...d’avoir dû céder (céder ?!)...je ne voulais pas te laisser, j’ai résisté, mais pour finir elle a eu le dessus. Qui, te demanderas-tu ? La Mort ! Une épidémie de fièvre, que l’on appelle ici « grippe espagnole », a touché Tsaritsyne. Le gouverneur a vite quitté l’endroit par crainte de contagion, mais que veux-tu, le peuple n’a pas les mêmes moyens...et ainsi hier, en rentrant chez moi, j’ai senti les premières attaques de la maladie, une sueur glacée a trempé mon front, mes jambes soudain tremblantes ont fléchi et je suis tombée dans le vestibule, sans connaissance...quand je me suis reprise j’étais encore là, je suis montée, me suis jetée sur mon lit et ai revu notre photographie...mais de quand date-t-elle, cette missive ? Hum...d’il y a six jour, donc les faits ont déjà une semaine...et je n’en ai rien su ! Voilà, voilà, tout l’univers se retourne et dans un formidable fracas (la bataille commence plus loin) tout tombe et s’écroule sur et sous moi...c’est car je me révolte ! Je m’insurge ! Je m’insurge contre la mort, la maladie, la guerre, l’injustice, je me révolte pour moi, pour Tania, pour tous ceux qui ignorent notre histoire ! (coup de fusil rapproché) Ah ! Comment ? Qu’est-ce que cette douleur, ici...peut-être...se pourrait-il que la vraie image des choses, derrière ce réel soudain fragmenté...
L’infirmier, suivi de Tania, rentre en scène
Tania : Aleksander !
Aleksander : Mais...la lettre ? Quel rêve heureux- ultime- suis-je en train de vivre ?
Infirmier : Il vous manque la deuxième moitié de l’histoire. Au revoir (il sort).
Tania : N’as-tu pas lu la lettre suivante ? L’un de mes voisins, un médecin, m’a recueillie et a réussi à me guérir...je lui ai raconté nos vicissitudes et il a agi sur ses connaissances au soviet pour que je puisse me rendre ici...avec toi.
Aleksander : C’est bien...tous les hommes de cœur ne sont pas morts...je suis si désolé de te décevoir...nous nous serons ainsi vus une dernière fois...l’image...voici l’image...il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine, tranquille...il a deux trous rouges au côté droit.
Tania : Pour quelle raison ? Nous sommes encore vivants, nous sommes deux...
Aleksander : Je suis mourant et nous sommes prisonniers...vois-tu cette belle apocalypse, le clairon, les canons, la cavalerie...que sommes nous, après tout, et avec nous toute l’humanité ? Le cœur flottant entre des dilemmes déchirants, nous errons tous perdus dans ce monde d'illusions...à la poursuite d'idées peut-être trop nobles, trop belles pour l'infime étincelle de notre faible esprit...nous sommes une lueur qui meurt dans le noir, la nuit engloutit dans son vide nos efforts, nous nous entretuons pour des châteaux de sable qui s'écroulent sous le vainqueur comme un mauvais rêve
Tania : Mais une étincelle brille pour faible qu'elle soit, une étincelle, c'est une bribe du feu, une étincelle, c'est un amour qui nous touche encore, c’est notre amour. Nos vies s'enchaînent comme les lettres d'un livre, noires marques gravées sur l'étoffe des songes.
Aleksander : A l'aube, le Destin nous dévoilera la Fin. C’est cela, oui, peut-être est-ce juste...je te laisse. Mon esprit part en paix...je garde ma foi en l’Homme.
Tania : Tu n’as pas le droit ! Tiens bon, il ne faut pas se laisser briser par la vie, notre résistance ne fait que commencer...
Aleksander : Mais je ne fais que la continuer...dans un autre monde.
Tania : Et bien, nous resterons ensemble quand même.
Ils meurent, dans les bras l’un de l’autre. Les rideaux commencent à se fermer puis s’arrêtent à moitié, Karol rentre dans l’espace vide encore visible
Karol : Ah ah, fuir la mort commence à être ma spécialité...j’en suis désolé, ô sombre dame, mais on ne m’enfile pas ainsi l’alliance ; remettons à plus tard ces tristes fiançailles. Et bien ? Vous ne riez pas ? Je suis pourtant drôle. Non, c’est Sijuck qui était drôle, je suis juste cynique. Combien de morts ! Tout à cause de ma belle révolution, ma révolution chérie. Et penser que je prétendais sauver la Russie ! Mais moi, Aleksander, Machkov, Tania, Boris, sommes tous de petits grains de sable, d’insignifiants insurgés, qui ensemble bloquerons l’inévitable marche de la fatalité...qui es-tu, là-haut, toi qui guide nos vies ? Il est tard, il est bien tard maintenant...tu peux annoncer la fin.
Rideaux

FIN
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MessageSujet: Re: Théâtre   Théâtre Icon_minitimeDim 4 Mar - 10:08

ouah !!!! ça c'est du grand art !!! j'ai lu que les 2 premières scènes pour le moment et je continuerais à l'occasion !!!!! lol
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MessageSujet: Re: Théâtre   Théâtre Icon_minitimeMar 6 Mar - 18:13

Merci bien! Donc en fait tu es Audrey? Excuse-moi, je n'avais pas tout de suite compris avec le nouveau pseudonyme!
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MessageSujet: Re: Théâtre   Théâtre Icon_minitimeMer 7 Mar - 14:00

t'inquiete c'est pas grave de toute façon je crois (je suis sur même) que je vais remettre l'autre il est trop long à écrire !!!!
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MessageSujet: Re: Théâtre   Théâtre Icon_minitimeMer 7 Mar - 14:06

Oui, en fait c'est sûrement mieux comme ça!
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MessageSujet: Re: Théâtre   Théâtre Icon_minitimeMer 7 Mar - 14:32

^^ je trouve aussi !!!
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MessageSujet: Re: Théâtre   Théâtre Icon_minitimeMer 7 Mar - 19:58

Que diriez vous d'un petit drame dans un royaume imaginaire perdu entre rêve et réalité dirigé par le corregidor don Galatiano? Avec un peu d'intrigues de cour, une belle histoire d'amour, quelques personnages fantasques comme Sijuck ( c'est un type que j'affectionne particulièrement) et peut-être un petit peu de magie...une histoire dans le genre de "Cent ans de solitude", le beau roman du colombien Garcia Marquez...qu'il vous faudrait lire, d'ailleurs, ou bien d'autres bons romans sud-américains ce sont ceux de Luis Sepulveda ("Le vieux qui lisait des romans d'amour", "La sombra de lo que fuimos", etc...)...fermons la parenthèse. Dans le meilleur des cas la pièce pourrait être terminée d'ici les Grandes Vacances. Au travail!
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MessageSujet: Re: Théâtre   Théâtre Icon_minitimeMer 7 Mar - 20:13

je connais aucun auteur que tu as cité mais si c'est du fantastique je suis pas contre ^^
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MessageSujet: Re: Théâtre   Théâtre Icon_minitimeLun 12 Mar - 20:51

Je précise que le titre de la première pièce est "Les insurgés".
Cependant j'annonce aussi: "Don Tristano", tragédie d'une dynastie ravagée par la fatalité en cinq actes. J'arrête là parceque s'il devait y avoir un probléme et que je ne l'achevait pas je seraisen mauvaises posture, mais on verra ce qui va en sortir...
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MessageSujet: Re: Théâtre   Théâtre Icon_minitimeMer 14 Mar - 20:06

oki on attend avec impatience !!! Smile
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MessageSujet: Re: Théâtre   Théâtre Icon_minitimeMar 10 Avr - 15:01

bonjour ( ou bonsoir, selon l'heure ou vous me lirez ) tout le monde.
je vais déplacer ce sujet dans une catégorie pour, catégorie Théâtre que je m'empresse de créer.
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MessageSujet: Re: Théâtre   Théâtre Icon_minitimeMer 11 Avr - 18:29

Merci !! J'ai juste failli faire une crise cardiaque lorsque je suis arrivé sur la page d'accueil et que j'ai lu "romans : 0 sujets", mais sinon tout va bien (c'est un peu lourd comme humour...)!
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MessageSujet: Re: Théâtre   Théâtre Icon_minitimeJeu 12 Avr - 9:02

une crise cardiaque ??? jusque là!!!! eh ben dis donc pauvre Trotsky !!!! eh l'admin tu pourrais être un tout petit peu plus prévenant car sinon je crois vraiment qu'on va perdre notre "poète chevronné" !!! Razz
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MessageSujet: Re: Théâtre   Théâtre Icon_minitimeJeu 12 Avr - 11:36

bon, bon, la prochaine fois, je laisserai un sujet de traçage !
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MessageSujet: Re: Théâtre   Théâtre Icon_minitimeJeu 12 Avr - 20:05

Bon, d'accord, j'ai un peu éxagéré...ce n'est pas de sitôt que l'on se débarassera de moi, n'ayez crainte! Et j'éviterai à l'avenir de prendre si vite mes airs de mélodrame...mais que voulez vous, quand on dit "mélodrame", l'écho vous renvoie "italien"!
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MessageSujet: Re: Théâtre   Théâtre Icon_minitimeVen 13 Avr - 8:45

rien qu'un mélodrame eh ben dis-donc !!!! Very Happy
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MessageSujet: Re: Théâtre   Théâtre Icon_minitime

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